Il était revenu là où tout avait commencé.
Quel foutu masochiste il était, décidément ! Pourquoi ? Pourquoi vouloir se faire mal ainsi, gratuitement ? Kinhàn avait beaucoup réfléchi depuis sa dernière rencontre avec Sharka, et s’était reconstruit à une vitesse hallucinante, son pouvoir aidant beaucoup. Il était à nouveau de fier mâle à la fourrure dorée, si brillante, qu’il était autrefois. Les muscles fins, et bien dessinés, ses points de forces sculptés comme d’antan. Seuls quelques cycles lunaires avaient laissé son impact implacable du temps sur le loup, devenu adulte mature et raisonnable. Son regard améthyste n’avait hélas pas récupéré cette étincelle qui lui faisait pétiller le regard, lui donnait l’amour de la vie et des mots, l’envie de profiter de la nature, et d’être un le séducteur badin et affriolant qu’il fut dans sa jeunesse.

Il avait mûrit.
Et ses prunelles violettes reflétaient bien à quel point Kinhàn s’était reconstruit, et à quel point l’échafaudage était tout aussi fragile qu’un château de cartes. Il suffisait d’un simple rien pour tout faire effondrer, et replonger le guerrier dans une dépression dont, cette fois-ci, il ne sortirait pas indemne. Il était fort de nouveau, mais pour combien de temps encore ? Le simple fait de repenser à Sharka, son point faible, lui suffisait à ébranler sa confiance en lui et en ses résolutions. Pourtant, il savait qu’il ne pourrait plus jamais penser à une autre louve après ce qu’il avait vécu. Ce débit de sensations et d’émotions qu’il avait en présence de la belle louve de son cœur, c’était si poignant qu’il avait encore du mal à y penser, et encore moins à en faire l’analyse, sans avoir un retour de papillons dans le ventre. C’en était assez… Perturbant.

Le jeune loup doré regarda les fleurs multicolores, si pareilles à celles qu’il y avait lorsque, pour la première fois, il avait rencontré Sharka, ici même. A l’époque, il ne savait pas trop comment il avait réagit. Au départ, il l’avait prit pour sa sœur disparue. Mais très vite, il s’était rendu compte qu’il s’agissait d’une tout autre louve, qui avait déjà une famille et une meute entière derrière elle. Mais déjà, ce sentiment d’affection lui avait prit.
Puis, cette nuit à hurler sous la lune, où ils avaient pleuré comme des fous. Cette rencontre dans la clairière, près du cerisier, à se promettre de ne plus jamais se revoir. Que de souffrance grandissante. Cette année entière avait passé. La bouclé était fermée. Fin de l’histoire.

Vraiment ?
Une odeur si particulière, si puissante et sauvage, lui parvint à la truffe, lui chatouillant agréablement les narines. Cette effluve si unique que Kinhàn ne put s’empêcher de sourire, face au Destin si farceur qui lui offrait de nouveau cette chance. Ce ne sera que la quatrième fois.

D’humeur joyeuse, inexplicablement liée aux caprices du destin et du hasard coquin qui se plaisaient à leurs rencontres, le loup blond doré fit quelques pas en direction de celle qui hantait ses pensées, cette louve argentée qui n’avait cessé de le tourmenter depuis toutes ces lunes. Il s’arrêta près d’elle, et, d’humeur badine, légère et amusée, Kinhàn lança :
- Le Kô s’acharne sur nous, on dirait.

Il était revenu là où tout avait commencé.
Et là où tout allait s terminer.

Enfin il la revoyait.
Mais il fronça les sourcils, voyant l’état de Sharka. La louve argentée ne semblait pas avoir autant récupéré que lui, apparemment. Sur le coup, Kinhàn s’en voulu vraiment. Même si la belle louve grise avait toujours été la plus belle à ses yeux, il détestait la voir aller mal, psychologiquement comme physiquement parlant.

Sa voix sonnait étrangement, et Kinhàn y perçu comme de la suspicion et du reproche teinter sa tessiture si particulière, qu’il aimait tant :
"En effet... Je me demande si le Kô est une entité consciente..."

Quoi donc ? Jugeait-elle le Kô, ou même lui, d’être à l’origine de tant de rencontres entre eux deux, en si peu de temps ? Trouvait-elle cela mal ? Le loup blond trouvait au contraire que cette nouvelle rencontre était peut-être la dernière chance qu’ils avaient de réparer les pots cassés. Si le Kô et le destin réunis déployaient autant d’énergie à faire plier le hasard et forcer les deux loups à se revoir.
"Comment vas-tu, Kinhàn ?"

Peiné devant ce qui sonnait plus comme une accusation qu’à une question, Kinhàn recula d’un pas. Il était désorienté.  Il était triste. Triste de voir que Sharka lui reprochait d’aller mieux, alors que ce n’était qu’une mascarade physique. Les yeux sont le reflet de l’âme, lui avait-on souvent dit. Que Sharka vienne, et voit à quel point il est détruit. Qu’elle vienne voir à quel point ses prunelles sont éteintes de toute joie, de toute envie. Son humour et  sa bonne humeur apparente ? Diantre non, tout cela faisait partie de cette même comédie continue qu’il s’était efforcé de créer de toute pièce, depuis sa dernière rencontre avec Sharka, afin de créer l’illusion d’une santé morale et physique à peu près normale. Comédie qu’il servait à n’importe quel loup qu’il croisait, y compris la louve argentée. Et même elle était bluffée par son tour de passe passe, elle aussi croyait qu’il allait mieux.
Mais ce n’était absolument pas le cas.

Kinhàn refoula sa tristesse et sa déception, lui qui avait tenté d’amener la conversation avec bonne humeur, un tantinet joyeux et badin. Il s’avança vers Sharka, nouvellement déterminé. Puis, s’arrêtant en face de la femelle grise, à quelques centimètres d’elle, il se redressa, la dominant de quelques centimètres, et planta ses yeux améthyste dans le  magnifique regard bleu océan de l’Alpha. D’une voix profondément sérieuse, et si différente de celle de toute à l’heure, car plus grave et moins légère, Kinhàn lâcha, mortellement sérieux :
- Regarde moi, Sharka. Sondes mes yeux, scrute mon regard, et dis-moi si je vais bien. Regarde mon âme détruite, vois cette ruine que je suis devenu, cette épave décomposée aux allures de fière frégate prête à prendre le large. Regarde-moi, et ose me dire que je t’ai oublié !

Une larme roula sur son museau, vite absorbée par l’épaisseur de son pelage doré. Il maintint un instant le contact visuel, avant de détourner le regard. Se retournant de moitié, il ajouta, d’une voix plus faible, atone :
- Pourquoi faut-il que tu compliques les choses, Sharka ?

C’était légitime, comme question, non ?
Pourquoi, alors qu’il venait, joyeux, vers elle, essayant de renouer avec elle et espérer une issue plus heureuse à leur relation,  pourquoi devait-elle se montrer hostile et distante, juste parce qu’il avait récupérer un peu d’état physique. Si elle ne voulait plus de lui, il comprendrait. Elle avait peut-être trouvé un autre mâle, ou était finalement plus heureuse sans lui. Ces dernières pensées le firent douter du bien-fondé de cette dernière rencontre, et une pointe de jalousie piqua le cœur de Kinhàn.

Elle baissa la tête, presque honteuse de son comportement. Kinhàn eut peur qu’elle ne prenne la mouche, où qu’il l’ai vexée. Mais la louve argentée au tempérament de feu n’explosa pas, et d’une voix faible, elle répondit simplement :
"Je suis désolée. Je suis désolée si je rends tout aussi compliqué."

Wow.
Qu’elle fasse ainsi ce grand pas de ne pas partir au quart de tour, il ne s’y attendait pas. Il l’avait certes espéré, mais ce n’était pas pareil. Sharka faisait des efforts. Tout comme lui en faisait en souriant et en se montrant jovial pour ne pas plomber l’ambiance. Il soupira, mi-soulagé, mi- sidéré.

Un ange passa. Telle une grande dramaturge, elle avait laissé planer le silence, et il réfléchi à toute vitesse, analysant la situation comme il pouvait. La belle alpha qui faisait battre son cœur se retourna alors vers lui, et il vit dans ses yeux bleus si profonds briller comme de la détermination, et de la tristesse.
- Je ne peux pas te dire "pourquoi". Je suis comme ça, c'est tout. Je réagis au quart de tour, et ça ne me dérange jamais. C'est seulement que... Je t'aime tellement tu sais... C'est très dur…. Il faut savoir profiter des choses tant qu'elles nous accordent un peu de temps.

Bien malgré lui, Kinhàn eut un petit sourire en coin, se souvenant de cette phrase qu’il avait lui-même dite à Sharka lors de leur première rencontre. Amusant qu’elle fasse cette illusion à cet endroit là, et surtout, maintenant.
Kinhàn essaya de voir les choses en face. Ce qui avait empêché le loup doré d’aller rejoindre l’Alpha, ce n’était rien d’autre que sa peur. Il avait eu peur de se jeter dans une nouvelle vie dont il ne connaissait rien, lui l’intrépide loup qu’il fut autrefois. Il avait peur de ne pas savoir bien prendre soin de Sharka, et de ne pas savoir comment la protéger. De la réaction qu’aurait Morrigan. De la réaction des autres. Et pour cela, pour cet égoïsme pur, il les avait fait souffrir tous les deux. C’était désormais à lui de réparer ces tords.

Déterminé à ne pas flancher, le loup blond s’approcha près de Sharka, et frotta son museau contre le sien, tout doucement. Il murmura :
- Je t’aime…

Cette simple phrase lui procura d’intenses fourmillements dans le ventre et un sentiment fébrile lui donna de grandes vagues d’énergie. Il ferma un instant les yeux, avant d’ajouter sur le même ton, tout doux et tout bas à l’attention Sharka :
- …Et pour cela, j’ai été assez fou de vouloir m’éloigner de toi… De vouloir te protéger… Mais maintenant, de te voir dans un tel état, tout cela m’est insupportable… J’en ai marre de me battre, Sharka… Je veux juste que tu sois heureuse…

Il demeura ainsi, son museau contre celui de la louve grise. Amoureusement, il lui lécha la truffe, comme pour la réconforter. Il ne voulait plus jamais la voir dans de tels accès de tristesse. Plus jamais.

La louve grise resta un instant muette, comme changée en statue. Kinhàn vrilla ses yeux d’améthystes dans l’océan de Sharka. Elle semblait perdue, troublée… incertaine. Les yeux perdus dans l’incompréhension, l’Alpha des Fire semblait ne pas avoir compris ce que venait de lui dire le guerrier blond. Kinhàn leva un instant le museau au ciel, comme pour essayer d’y déceler quelque chose qui demeurait hors de portée de son regard unique.

Puis il reporta son attention sur la louve qui animait son cœur, et qui était désormais son centre d’intérêt premier. D’un petit soupir presque soulagé d’avoir sorti tous ces mots, le mâle doré attendit la réaction de Sharka, toujours contre lui. Ni l’un, ni l’autre ne semblait vouloir bouger. L’un parce qu’il n’en avait tout simplement pas envie, l’autre parce qu’elle semblait trop troublée pour esquisser quelque mouvement.

Puis, enfin, Sharka brisa le silence qui s’était établit entre eux deux. Se tournant lentement vers lui, la louve au pelage argenté lui demanda d’une voix hésitante :
- Est... est ce que j'ai bien compris le sens de tes propos ?

Kinhàn inclina la tête sur le côté, et lui lécha timidement la truffe.
- Je… Je crois que je suis amoureux de toi, Sharka. Complètement fou amoureux…

Il espérait désormais que la louve grise ne le rejette pas. Lui ne s’était pas gêné de le faire par le passé, afin de les protéger tous les deux. Est-ce que Sharka allait elle aussi succomber aux sirènes de l’amour, tout comme il venait de le faire ?

Rien était moins, sûr, et désormais, Kinhàn doutait. Il avait peur d’un rejet de sa part, et l’adulte blond savait très bien que si tel était le cas, il ne s’en remettrait pas. Ce n’était plus uniquement ses sentiments qu’il confiait à l’Alpha, mais également sa vie et son destin.

Et là, lorsqu’il vit Sharka sourire, mais de ce large sourire soulagé et heureux comme il n’en avait jamais vu, Kinhàn senti son cœur se réchauffer d’un seul coup. Tout son corps l’irradiait, comme si une couche de feu avait enveloppé son pelage doré, ou qu’il était tombé dans de la lave en fusion.

Non, pas de la lave, justement. Plutôt dans l’océan lazuli, profond et paisible des yeux de la louve argentée. Il ne voyait plus qu’elle à ce moment présent. Elle seule comptait, et elle ne le repoussait pas comme elle aurait pu le faire. Une joie immense, incommensurable fit écho au soulagement apparent de la guerrière du Feu, et Kinhàn eut un large sourire si pareil à  celui de l’Alpha que cela en était presque drôle. Le loup pencha la tête sur le côté en la voyant pleurer.
- Je t'aime aussi Kinhàn, je te l'ai déjà dit. Mais tu sais que je ne quiterrai jamais ma meute. Alors aurais tu une solution ?

Le loup blond s’approcha de Sharka, et lui lécha doucement les joues, chassant ses larmes d’un geste qu’il voulait tendre. Il lui murmura alors, d’une voix basse et pleine de désinvolture :
- Peut importe ce que tu feras. Je suis plus Solidaire que Wind désormais, et si ma place est à tes côtés, alors je te suivrais. Libre à toi de m’accepter dans ta meute… Ou non. Je n’ai plus d’attaches désormais, si ce n’est toi. Fais moi guerrier ou  simple sentinelle au service de la meute, je n’en ai cure. Je veux juste que tu sois heureuse.

Il tourna sa tête pour regarder, contempler la louve qui se tenait devant lui. Lentement, il approcha sa truffe de la sienne, sans la quitter des yeux. Cet océan lui semblait si unique, si infini… Il lui était si précieux, et le contemplait comme un trésor. Il lui lécha timidement le bout du nez, n’arrivant pas à réaliser qu’elle ne le rejetait pas ;  Et que lui –meme avait cessé de se battre contre le Kô.

Il rajouta tout bas, comme s’il avait peur que Sharka entente ces mots :
- Et le jour où tu ne voudras plus de moi… Je partirais, sans laisser de traces.

[No problem ! Je suis archi nulle en rp d'amour... xD]

"Ne dis pas de choses ridicules."

Elle se mit à sourire, puis un éclat de rire vint faire vibrer sa gorge, comme un carillon qui égayait le vent. Ce même rire qui fit vibrer le cœur du loup blond, qui se sentit tout à coup tout léger et tout joyeux. Il était heureux de la voir dans cet état. Depuis combien de temps n’avait-elle pas rit ? A quand remontait la dernière fois qu’elle exprimait une telle joie ?

Kinhàn eut un grand sourire, soulagé et communicatif. Sharka était si belle, si lumineuse lorsqu’elle riait ainsi. Un rire pur et vrai, tout simplement magnifique. Très poétique, c’en était presque déconcertant.

Puis elle planta ses immenses yeux bleus dans les deux prunelles sombres du guerrier solitaire. Son sérieux revint d’un seul coup, sans pour autant être brutal. Elle se contrôlait quelque peu, puis déclara d’une voix sérieuse, avec une pointe d’émotion :
"Kinhàn, ex-loup des Winds, acceptez-vous de devenir un membre à part entière de la puissante et sublime meute des Fires…. En attendant d'être nommé Alpha à mes côtés bien sur..."

Le concerné vit le sourire en coin, espiègle, de la louve argentée lorsqu’elle murmura la deuxième partie de sa phrase. Lui aussi, avait sourit. Sharka imaginait un avenir officiel entre eux deux. Il était aux anges. Morrigan, son ancienne Alpha ne lui en voudrait pas de quitter sa meute pour poursuivre son destin. Elle –meme lui avait dit d’agir pour être heureux. Et c’était pour cela qu’il n’avait pas à hésiter. Que son choix était déjà tout décidé.
Sa voix fut la plus calme possible, alors qu’au fond de lui, il était tout exité.
"Sharka, Alpha des Fire, ce serait un véritable honneur de que servir ton impétueuse meute… Et de personnellement veiller sur toi, en temps qu’un des tiens."

Le titre d’Alpha… Kinhàn venait tout juste de réaliser. Il venait de prendre conscience qu’il allait, un jour, mener la meute aux côté de Sharka. Il venait de comprendre ce qu’aimer une Alpha impliquait. Il allait avoir des responsabilités. Mais l en avait toujours eu. Même en étant Bêta chez les Wind avec Morrigan. Il n’avait pas peur. Il n’était plus seul. Et Sharka non plus, désormais.