L'après-midi touchait à sa fin. Le soleil, cet étrange astre qui n'agissait pas de la même manière ici que chez moi, commençait à disparaître petit à petit derrière l'horizon. Il lutterait encore quelques minutes, peut-être une heure, puis finirait par renoncer et laisser la nuit s'installer. Depuis que j'avais quitté ma meute, j'avais découvert beaucoup de choses étranges et très différentes de ce que je connaissais. Là-bas, le jour durait environ 6 mois, tout comme la nuit. On pouvait vivre des semaines sous les étoiles, à hurler à la lune. Alors qu'ici... non. L'un comme l'autre ne se maintenait que pendant quelques heures. Ca m'avait perturbée au début, et encore maintenant je trouvais toujours le phénomène étrange.

Et ce n'était pas le seul. Le sol n'était pas perpétuellement recouvert de neige ou de glace. Mes pattes avaient eu besoin d'un certain temps pour s'habituer à ces étranges sensations. Ca grattait parfois, c'était sec, et on ne s'enfonçait pas vraiment dedans. Intriguant. Tout comme les odeurs. Je connaissais celle de la terre bien sûr, mais c'était différent ici. Et mes découvertes s'enchaînaient au fur et à mesure de mon voyage. Les saisons étaient incroyables. Chez moi, le seul changement était l'épaisseur de la neige et un léger réchauffement, alors qu'ailleurs tout se modifiait : les arbres, le sol, la température... on ne reconnaissait plus le même endroit suivant la période ! Même le gibier changeait... il y avait de quoi être étonnée.

Mais ce n'était pas toutes ces bizarreries qui allaient m'arrêter. Je m'habituais petit à petit à ces nouveautés, avec la force d'adaptation dont peut faire preuve tout loup qui se respecte. J'avais un but, un frère à trouver, et peu importait qu'il vive dans une contrée où les lapins chassaient les loups et où le soleil était rose : j'y arriverai. Mais pas aujourd'hui. J'avais couru une bonne partie de la journée pour gagner le couvert de quelques arbres. La prairie que j'avais traversé m'avait semblé ne jamais se terminer, mais tout a une fin, heureusement. Je marchais tranquillement, à la recherche d'un abri où me reposer, quand le son cristallin d'une cascade me parvint. Boire un peu me ferait le plus grand bien, aussi suivis-je la piste, me guidant sans problème au chant aquatique.

Il ne me fallut pas longtemps pour découvrir les lieux. Ce n'était pas une cascade raide, non. Elle était composée de plusieurs filets d'eau qui ricochaient sur des rochers, se séparant au grès de leur chute, pour mieux se retrouver plus bas, jusqu'à nourrir un petit bassin naturel. Sans doute poursuivaient-ils leur course sous la terre, jusqu'à un territoire inconnu. Jusqu'à Kygan ? Peut-être... mais je n'étais pas une goutte d'eau capable de me faufiler aussi vite et aussi efficacement dans tous les recoins du monde. Je n'étais qu'une jeune louve qui se raccrochait à un unique but, sans rien d'autre dans sa vie.

Je reniflai l'air. Aucune odeur suspecte ne me parvint, il ne semblait pas y avoir de menace proche de moi. Très bien. Je m'approchai du bassin et m'y accroupis pour laisser ma langue laper le liquide si vital pour tous. L'eau était fraîche, ça me faisait du bien après toute cette trotte. J'étais fatiguée et j'en avais probablement l'air. Ma fourrure était passée de son blanc habituel à un gris terne, montrant clairement que j'étais sur la route depuis un moment et que toute la poussière qui s'y trouvait appréciait de squatter mon pelage. Je pouvais m'en débarrasser en profitant du bassin pour me nettoyer un peu, mais un bruit m'en dissuada. Je relevai la tête, oreilles dressées et sens aux aguets.

Un simple animal attiré par l'eau comme moi ? Ou une menace potentielle plus sérieuse ? J'ignorai quels types de créatures peuplaient cet endroit. Je n'avais pas senti d'odeurs de loups indiquant que je me trouverais sur un territoire particulier, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il n'y en avait pas. Prudente, j'observais les environs. Je n'étais pas au meilleure de ma forme mais j'étais encore capable de courir si les ennuis venaient à moi, alors je restais sur le qui-vive, prête à détaler au moindre signe de danger. Je n'étais pas une pleutre, je faisais face à une menace si je n'en avais pas le choix. Mais je ne voyais pas non plus l'intérêt de provoquer les problèmes si je pouvais les éviter. Et j'étais trop fatiguée pour jouer à ça.

La neige laissait maintenant place au sol doux et moelleux sous mes pattes. Cela faisait déjà deux semaines que mon père m'avait chassé du territoire de chasse familial. Nous ne formions pas une meute, nous étions des solitaires. Et les solitaires vivent seuls, il était donc normal que mon père m'ait chassé. Je m'y attendais depuis un moment déjà, mais il avait attendu que j'ai ma vingt-quatrième lune.

Déjà deux semaines que je courais... Nul part où m'arrêter, nul part où vivre. Partout, des traces m'indiquait que d'autres loups vivaient déjà là. En tant que fier solitaire, je ne souhaitais pas me joindre à une meute ou vivre avec mes semblable. Tout ce que je voulais, c'était trouver un endroit sans loups et m'y installer.

J'étais habitué aux températures changeante, à l'été et l'hiver, mais je désirais m'installer quelque part où les chaleurs n'étaient pas trop fortes et le froid, glacé. Avec mon épaisse fourrure, je supportais mal le chaud. De plus, mon pouvoir dépendait de l'eau sous toutes ses formes et l'hiver, de l'eau, il y en a partout. Je me sentais plus en sécurité quand je pouvais m'endormir près d'une source d'eau ou de glace, car, au moindre bruit suspect, je m'éveillais près de la source de mon pouvoir. Un endroit éternellement sec et sans eau serait l'endroit le plus terrifiant pour moi. La soif, je peux endurer, mais pas l'insécurité liée à mon incapacité à pouvoir me servir de mon don.

J'étais maintenant assoiffé et cela faisait un moment que je pouvais entendre un cours d'eau devant moi. Je l'atteignis enfin, mais quelqu'un d'autre y était déjà. La chute était splendide, l'eau chutant sur les pierres en reflétant la lumière du soleil comme un diamant liquide. L'endroit était beau, paisible, mais envahit par une louve blanche à l'air épuisée. Elle s'abreuvait à la source et le son de sa langue lapant l'eau réveilla ma soif. J'avançais vers le bassin d'eau cristalline lentement, aux aguets. Si je réussissais à me rapprocher assez de l'eau, je n'aurais pas à craindre une attaque surnaturelle de la part de la louve, puisque je serais en mesure de me défendre de la même manière.

Malheureusement, j'écrasai une brindille de bois sec qui se cassa dans un crac sonore. J'étais plus épuisé que je ne le croyais, mes pattes ne montaient plus aussi haut dans les airs à chacun de mes pas, elles traînaient presque au sol, d'où la branche cassée. Ma fourrure ne me permettant pas de me cacher longtemps dans ces bois, j'étais sortit dans la lumière crue du soleil, sur le qui-vive, prêt à me jeter à l'eau s'il le fallait.

Mon pelage sombre sur le dessus de mon corps faisait désagréablement surchauffer mon corps entier aussitôt que j'entrai dans le rayon de soleil. J'entrouvris légèrement le museau, dévoilant mes crocs blancs et ma langue, haletant doucement en tentant de réguler la température de mon corps de mon mieux, en vain. Il faisait vraiment chaud et je déteste quand il fait chaud. Je lançai un regard prudent à la louve.

Je me déplaçai de manière à faire face à l'animal qui s'approchait, ne souhaitant guère me faire attaquer dans le dos. Je ne sentais pas d'odeur, mais c'était normal, je n'étais pas dans le bon sens par rapport au vent. Enfin cela n'était pas important, mes yeux suffisant amplement pour repérer l'intrus et me dire de quoi il ressortait : un loup au pelage foncé sorti du couvert des arbres. Membre d'une meute avec du renfort ? Ou membre isolé en quête d'eau, comme moi ? Oui j'étais un peu paranoïaque, je sais, mais c'était ce qui m'avait permis d'éviter beaucoup d'ennuis depuis quelques temps. Mieux valait être trop prudente que pas assez.

Méfiante, je gardais mes distances en l'observant. Il était grand, me dépassant facilement d'une bonne tête, et avait une fourrure chaude, un peu comme la mienne. Mais elle semblait l'indisposer, probablement à cause de la couleur. Le noir est très pratique pour retenir l'énergie du soleil, contrairement au blanc qui le réflète sans laisser la chaleur l'envahir. J'appréciais ma propre fourrure qui ne me gênait pas dans ce genre de climat, même si j'avoue qu'en plein été c'était une toute autre affaire. Il semblait plus probable qu'il venait ici pour boire à son tour. Et était tout aussi prudent que moi.

J'avais beau être ultra méfiante et paranoïaque, je n'en étais pas pour autant impolie. Et c'était le premier loup que je rencontrais depuis que j'étais arrivée dans les environs, alors j'avais tout intérêt à lui poser quelques questions. Peut-être qu'il avait rencontré mon frère ? Ou qu'il pouvait me renseigner sur les meutes locales. Je fis de mon mieux pour paraître moins fatiguée que je ne l'étais réellement, relevant fièrement la tête en me campant sur mes pattes. Je restais prête à détaler au moindre signe agressif : le loup avait beau être relativement loin, je savais qu'il possédait un don, comme tout le monde, et pouvait donc attaquer à distance suivant ce dont il s'agissait. Je n'avais guère envie de dévoiler le mien à moins d'y être obligée, alors je préférais me tenir prête à décamper.

- Salutations. Vous êtes du coin ?

Ma voix était claire, ferme, et tout à fait polie, bien que clairement méfiante. Je n'allais pas lui faire croire que j'étais sans défense et sotte, oh non. Il devait voir que, même si j'étais plus petite que lui, j'étais prête à me défendre.

La louve s'était campé bien droite sur ses pattes, la tête haute et fière, face à moi. Elle ne m'apparaissait pas comme bien dangereuse pourtant ; j'avais bien pu voir à quel point elle était épuisée, autant que moi, en fait. La louve ne bougeait pas d'un poil et d'une voix claire et méfiante, elle parla. Elle me demandait si j'étais du coin et me saluait par la même occasion.

Tout aussi méfiant qu'elle, je relevai cependant la tête dans une position similaire à la sienne. La tête plus haute que celle de la louve, je la dominais en hauteur, je m'adressai à elle à mon tour.

"Non, j'arrive tout juste ; je n'appartiens à aucune meute et recherche seulement la tranquillité."

D'un pas prudent et léger, je m'approchai de la rive opposée à celle ou la louve était et y trempai la langue sans attendre sa réponse, tout en la surveillant de mon regard doré. Danger ou pas ? Dans l'état où elle était, je ne croyais pas qu'elle puisse m'attaquer, mais qui savait quel était son pouvoir ? Ma soif me taraudait cependant assez pour que je risque de m'approcher. De plus, j'étais désormais bien plus en sécurité maintenant que j'étais près de l'eau.

J'observai la louve de plus près. Sa fourrure épaisse et blanche était terriblement sale, presque grise, tâchée par la poussière. Elle était, comme je l'avais déjà remarqué, d'une bonne tête plus petite que moi, bien que paraissant avoir moins chaud. La chanceuse n'avait pas un pelage sombre, le sien repoussait la lumière et sa chaleur, la gardant au frais. Ses yeux intelligents me transperçaient.

Le loup m'imita, prenant la même position, et de ce fait portant la tête plus haute que moi. Cela ne me fit pas baisser les yeux, loin de là, je n'allais pas montrer le moindre signe de faiblesse. Enfin pas plus que je n'en avais déjà. Je pouvais bien faire la fière, mon état restait clairement celui d'une vagabonde fatiguée après une longue journée de voyage. Ca n'allait pas pour autant m'empêcher de donner un minimum de bonne figure. Et puis lui-même n'avait pas l'air en pleine possession de ses moyens, donc j'avais toutes mes chances si la situation devait s'aggraver.

Cela dit, j'étais un peu trop paranoïaque je suppose. Le loup me répondit simplement. J'étais mal tombée apparemment, un autre vagabond qui arrivait à son tour dans les environs... il n'allait pas pouvoir me renseigner. A moins qu'il ne connaisse un minimum la région, c'était possible. Je ne bougeais pas, le gardant à l'oeil tandis qu'il s'approchait de l'eau tout en restant à distance. Je n'étais pas la seule à me méfier, mais il semblait avoir assez soif pour prendre quelques risques.

J'étais peut-être un peu trop suspicieuse, d'accord, mais je n'allais pas pour autant attaquer la première. Il me fallait une raison, et de toute façon je préférais la fuite au combat. Ce n'était pas pour rien que mon don était ce qu'il était je suppose.

- Est-ce que vous connaissez les meutes locales ?

Ca ne coûtait rien de demander.

La louve ne semblait pas comprendre. "Je recherche la tranquillité". Ça voulait dire que je souhaitais qu'elle fiche le camp ! J'étais sur le qui-vive, prêt à l'enfermer sous une couche de glace s'il le fallait. Je jetai un coup d’œil dans l'eau ; une mince couche de glace se formait près de l'endroit où je me tenais. Ce n'étais pas bon, j'étais trop énervé. Quelque cristaux se formèrent à la surface de l'eau, mais ils fondaient aussitôt à cause de la chaleur.

Je reculai et m'assis dans l'herbe rendue sèche par la canicule. Je devais me calmer, utiliser mon pouvoir a mauvais escient n'était pas une bonne chose. L'utiliser sans m'en rendre compte non plus. Comme je ne peux l'utiliser que durant l'équivalant d'une heure dans une journée, je dois l'économiser pour les urgences. Aussi, m'en prendre à un loup qui ne m'a pas attaqué n'est pas bien. Cette louve ne semblait même pas être en état de pouvoir m'attaquer.

"Non, enfin, je ne les ai jamais croisées. Mais je sais que si vous partez par là, vers le sud, vous rencontrerez le territoire d'une meute."

J'avais fait de mon mieux pour ne pas grogner ou soupirer et c'était plutôt bien sortit. Du museau, j'avais pointé la direction de la meute que j'avais sentit il y avait deux jours de cela.

"Je peux vous y mener, si vous voulez..."

La tension était palpable entre cet inconnu et moi-même. Mais c'était normal, nous étions tous deux des vagabonds fatigués par une longue journée sur un territoire qui ne nous appartenait pas. La méfiance était de mise, et régissait probablement la vie de tous les êtres solitaires, que ce soit un choix ou pas. Je restais alerte, le regard doré fixé sur l'autre canidé. Il semblait plus tendu que moi, peut-être agacé par ma présence, ce que je pouvais comprendre : j'aurais préféré être seule également. Mais, sans doute contrairement à lui, j'avais besoin d'autres loups pour répondre à mes questions.

Je commençais d'ailleurs à croire qu'il ne me répondrait pas quand il reprit la parole. Il ne connaissait pas vraiment les meutes du coin, mais il put m'indiquer une direction à prendre. C'était un début. Il me proposa même de m'y conduire, mais quelque chose me disait que ce n'était pas de gaieté de coeur. Il avait plutôt l'air de se forcer à être poli. Je secouai un peu la tête, restant fermement debout.

- Merci. Mais ça ira, je peux m'y rendre seule, vous avez certainement mieux à faire.

Je ne voudrais pas continuer de l'agacer avec ma présence voyons. Et inversement. Sans compter que je ne me pensais pas capable d'aller rencontrer une meute maintenant. J'avais besoin de me reposer avant de continuer ma route, ainsi que de force pour affronter un groupe potentiellement hostile. Tous les lupins n'étaient pas aussi souples et polis que celui-là, certains attaquaient à vue sans se poser de question, tant qu'il s'agissait d'un intrus. Et j'en étais une sur ces terres. Je me devais d'abord de me restaurer, il me fallait un petit gibier pour récupérer mes forces.

- En revanche, si vous pouvez m'indiquer un coin idéal pour la chasse, ce ne serait pas de refus.

Je doutais fortement qu'il m'en donne un. Les meutes ne partageaient pas vraiment leurs territoires de chasse, et les solitaires encore moins. Mais d'un autre côté, nous étions dans une zone que je pouvais qualifier de neutre, n'appartenant à aucun groupe particulier. On pouvait donc se partager un peu de gibier occasionnellement, d'autant que je ne comptais pas m'installer dans les environs. J'avais juste besoin d'un lapin ou d'un rongeur imprudent à me mettre sous la dent.

Lui.... Indiquer un territoire de chasse ? Était-elle folle ? Quel loup indiquerait à un autre son endroit où la chasse est la plus fructueuse ? Et, de plus, je venais tout juste de lui dire que je venais d'arriver. Je courrais depuis des jours ! Je mangeais en chemin ce que je trouvais, je n'avais pas de territoire de chasse. Je ne prévoyais même pas rester ici ! Je voulais vivre dans un endroit un peu plus... froid qu'ici. La chaleur, très peu pour moi ! Il y avait des montagnes plus loin, je pouvais en voir les pics enneigés ; je pourrais aller vivre là-bas. Mais c'est loin et je devais d'abord trouver un moyen de m'y rendre. Et à chaque fois que je pensais avoir trouvé un chemin vers les monts, j'arrivais aux limites du territoire d'une meute. Il me semblait que pour me rendre là-bas, j'allais bien devoir traverser le territoire d'un autre. Et je n'aimais pas trop l'idée.

Les loups sont territoriaux, une meute n'apprécierait sans doute pas que je passe sans permission sur leurs terres. Et elle me donnerait surement encore moins la permission de le faire. Alors que devais-je faire ? En fait, si cette louve cherchait à rejoindre une meute et que je l'accompagnais, je pourrais en profiter pour demander mon chemin ou, encore, demander à traverser leurs terres. Je devais donc supporter la compagnie de la louve. Et le mieux serait que nous soyons tout les deux au top de notre forme, pour éviter les embrouilles ; je devais donc l'aider à se nourrir. Ah la la...

"J'ai croisé une piste intéressante plus loin, un terrier de lapins. Et j'insiste. Je vous accompagnerai jusqu'à la meute, j'ai quelque chose à leurs demander."

Je lui tournai donc le dos et partis vers la famille de lapins que j'ai laissé vivre plus tôt, parce que j'étais trop épuisé pour les poursuivre. Ma soif maintenant étanchée, j'avais faim.

Surprise, le loup me répondit. Un terrier de lapins... ce serait parfait. De toute façon je n'allais pas faire la difficile, j'avais besoin de me nourrir et, si j'étais bonne traqueuse, je n'avais pas assez de force pour chasser un gibier pour important seule. En revanche, je n'appréciais pas le fait que l'autre canidé insistât pour m'escorter. Croyait-il que je n'étais pas capable de gérer la rencontre avec une autre meute seule ? Ce ne serait pas la première fois. Ou avait-il autre chose derrière la tête ? Ca ne me plaisait pas. Il avait quelque chose à leur demander ? Fort bien, mais il n'avait pas besoin de moi dans ses pattes.

- Merci, mais je peux me débrouiller seule.

Je crois que j'avais trop l'habitude de vivre en solitaire. Finalement je n'étais même pas certaine de pouvoir à nouveau évoluer au sein d'une meute, même si j'y trouvais mon frère. Enfin ça, je verrai en temps et en heure. D'abord Kygan, le reste viendrait ensuite. Peut-être qu'il vivait lui-même en solitaire après tout, ça ne m'étonnerait guère.

Pour le moment, je devais trouver ces fameux lapins. J'attendis un peu, puis me mis en route derrière l'autre loup, en gardant mes distances. Certes, il m'aidait, mais cela ne voulait pas dire pour autant que j'allais lui faire confiance. Je reniflai l'air, sentant son odeur, ainsi que celles des feuilles et de quelques oiseaux. Il y avait également un petit quelque chose que le vent portait et que je ne pouvais pas rater : une senteur de lapins. Mon estomac s'agita, lui aussi l'avait reconnue. Restait à repérer le fameux terrier et ses habitants, puis à les attraper. Heureusement, j'avais un don pour ces petits animaux.

Mais ce n'était pas moi la première arrivée, alors, bien que l'envie de lancer la chasse me travaillait sérieusement, je pris sur moi pour laisser l'autre loup mener la danse. C'était son coin après tout, son terrier, donc à lui d'attraper ce qu'il voulait en premier. Je me débrouillerai pour récupérer ceux qui arriveraient à lui échapper.

Je sentais la louve qui me suivais, légèrement énervée. Je l'étais aussi d'ailleurs. "Merci, mais je peux me débrouiller seule" ? Non, je ne crois pas. Je devais aller voir cette foutue meute et il n'y a pas trente-six chemins pour y aller. Alors, d'une manière ou d'une autre, nous devions voyager ensemble, que cela plaise, ou non à cette louve. Je n'avais pas particulièrement envie de me faire des amis non plus, je n'avais pas du tout confiance en elle. Mais ce qui doit arriver doit arriver. Il serait stupide de voyager ensemble, en s'ignorant, empruntant le même chemin, à différents moments. Ce serait complètement stupide de voyager seuls vers une meute. Les loups sont territoriaux, ils y aurait probablement moins de chance qu'ils s'attaquent à deux loups plutôt qu'à un seul. L'union fait la force.

Nous avons donc commencé par chasser. J'ai choppé le premier lapin, le plus gros et ai fait fuir les autres dans la direction de la louve. Voilà, elle n'Avait plus qu'à en attraper un. Je gobai le mien en presque deux bouchées tellement j'étais affamé. Mais la faim était quelque chose à laquelle j'étais habituée. Ce lapin allait me suffire pour deux jours encore. D'où je venais, il y avait très peu de proies durant le très long hiver. Je me suis alors tourné vers la louve.

"Que vous le vouliez ou non, nous allons dans la même direction. "

Lorsque l'autre loup attaqua la proie qui l'intéressait le plus, les autres s'enfuirent et j'entrai aussitôt en action. J'avais beau être fatiguée, je restais assez rapide pour attraper un lapin apeurée, surtout quand il se jetait pratiquement dans ma gueule. Je refermai vivement mes crocs sur sa gorge et laissai le sang envahir ma gorge avec soulagement. Un repas chaud bienvenu, c'était toujours plaisant. En temps normal, je l'aurai reposé un instant pour en poursuivre un autre, mais je me refusai à tourner le dos à l'autre lupin. Je ne voulais pas trop m'exposer.

Au lieu de ça, je pris le temps de régler définitivement son sort à mon lapin et le déchiquetai avec patience. Je n'allais pas me presser parce que l'autre avait englouti le sien, non, je préférais savourer mon repas et laisser le temps à mon corps de l'ingérer avec satisfaction. Il était habitué à ne pas être nourri aussi souvent qu'il le faudrait, alors il méritait bien de profiter un peu de ce qu'il avait quand il en avait le pauvre. Il faisait de sacrés efforts après tout. Cela dit, je ne mis pas pour autant trois heures, le lapin n'était pas des plus gros et je terminai vite de broyer les derniers petits os. Me léchant les babines, j'observai l'autre canidé qui prenait un ton fort déplaisant. Il faut croire qu'il n'avait pas apprécié ma remarque précédente.

- Et ? Cela ne m'empêche pas de prendre un chemin différent.

L'union fait la force dit-on, mais cela faisait trop longtemps que j'étais habituée à agir seule, sans avoir à rendre de compte à personne, et encore moins à me soucier d'un éventuel compagnon de route. J'avançais à mon rythme, comme je le voulais, où je voulais, et c'était très bien. Je n'avais guère envie de devoir surveiller mes arrières tout le long à cause d'un inconnu qui était probablement aussi méfiant que moi. J'avais déjà fait face à des meutes pas forcément très amicales et m'en étais toujours sortie. Je n'avais pas besoin de m'encombrer de quelqu'un.

- Je vous l'ai dit, je suis une grande louve, je sais me débrouiller seule, y compris face aux meutes. Pas vous ?

Je n'avais pas pour m'empêcher de lancer la question. Après tout, c'était lui qui insistait pour m'accompagner, il devait bien avoir une raison. Peut-être avait-il peur de se tenir face à plusieurs loups unis ? Loin de moi l'idée de me moquer, je pouvais le comprendre, j'avais été terrorisée la première fois que j'avais dû rencontrer une meute. Mais ce n'était pas une raison pour insister, surtout de cette manière agaçante, comme si j'étais trop bête pour comprendre. J'avais juste choisi un style de vie différent, et j'avais peut-être plus d'expérience que lui dans la rencontre de meutes inconnues.

Je ne supporte pas de me faire rembarrer. Je n'aime pas non plus les autres. Alors je crois que voilà le moment pour moi de laisser cette "grande louve" aller envoyer promener quelqu'un d'autre. Je ne crois pas que j'irai voir la meute, finalement. Pas celle-là en tout cas. Je vais continuer vers le nord, m'enfoncer vers des terres plus froides, jusqu'à ce que je trouve un autre territoire à traverser. Jusqu'à ce que je trouve mon chez moi. Il doit bien y avoir un endroit quelque part où je pourrai vivre. Tout le monde finit par trouver son foyer, le mien m'attend quelque part... Quelque part... Je ne l'ai simplement pas encore trouvé. Mais je le trouverai. Je dois bien le trouver... Je ne peux pas errer comme ça pour le reste de ma vie.

Je soupire en levant la tête vers la louve. Qu'elle tête de mule celle-là. Quand on y pense... comme moi. Je suis un peu déçu qu'elle prenne aussi mal ma proposition, mais à quoi bon ? Je serai mieux seul, sans personne à protéger. J'hausse vaguement les épaules, autant que cela est possible pour un loup, en regardant la louve.

-Si c'est ce que vous voulez.

Puis je lui tourne le dos et pars à la course, disparaissant sous le couvert des arbres. Je n'ai pas de temps à perdre avec quelqu'un qui n'a pas envie d'en perdre avec moi. J'ai un foyer à trouver, un territoire inexploré qui m'attend quelque part. J'ai des centaines d'aventures à exécuter, de personnes à rencontrer, de combats à gagner. Je n'ai pas le temps pour les idioties de louveteau perdu.

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