Kilio marchait, la queue basse, sans réelle destination. Il n'était qu'un louveteau, et pourtant il était las, las d'être seul, las d'hésiter. Las de la vie. Ou peut-être pas. En fait, il aimait sa famille, mais sa vie était monotone. Il ne riait jamais. Pas de grand éclat, de fou rire. Pas d'immense bonheur, de surprise. Juste de petits sourires sans suite. Le petit loup aimait ses parents, ils étaient gentils, mais pas souvent là pour lui apprendre ou lui faire un câlin. Surtout sa maman. Et ses frères et soeurs...Ils ne s'aimaient pas, et Kilio ne savait pas où se ranger. Reiko et Myosotis partaient souvent à l'aventure, mais ils se montraient un peu trop ambitieux et inconscient au goût de Kilio. Quand à Imalys et Aloe, ils étaient gentils, calmes, mais pas vraiment Shadows. Ils n'étaient pas du genre à défendre leur Meute. Aloe avait même ridiculisé Myosotis au cours d'un rassemblement. Au fond, Kilio n'avait pas vraiment envie de choisir un camps. Surtout qu'aucun de ses quatre frères et sœurs ne semblait lui accorder de l'importance. Il était Kilio, l'aîné, le futur Alpha, et pourtant, il était invisible. Futur Alpha...il n'en avait pas envie. Il n'en avait pas l'étoffe, et personne ne le respectait, ou uniquement parce qu'il était le fils d'Alaska et Whitefang, pas parce qu'il était doué à la chasse, au combat, ou à tout autre chose du genre. Lui, ce qu'il aimait, c'était réfléchir. Penser. Trouver un sens à sa vie, à la vie en général.

Kilio réfléchissait, quand une voix le tira de ses pensées :

- Tu es l'un des petits d'Alaska, n'est-ce-pas ?Que fais tu tout seul ici ?

Il ne bougea pas, et resta immobile. De une, il n'avait pas entendu ce loup, ou cette louve - d'après la voix - et aurait pu se faire réduire en miettes avant même de comprendre. Au fond, ce n'aurait peut-être pas été plus mal. Mais quelque chose l'intriguait, ou plutôt, sortait de l'ordinaire. Cette inconnue, quelle qu'elle soit, l'avait reconnu. Lui que personne ne voyait jamais, lui à qui personne n'adressait jamais la parole. Lui qui était invisible. Alors, poussé par son instinct, il se retourna. Et il ne broncha pas en voyant son interlocutrice, bien qu'elle ait de quoi l’impressionner. Sharka. L'Alpha des Fires. Ennemi jurée de sa mère. Kilio se demandait bien pourquoi. D'une voix lasse, il plongea son regard azur dans les yeux de la louve grise. Un regard éclatant, comme sa mère, mais sans haine, sans douleur. Juste de la lassitude. Une incroyable lassitude. Et d'une voix monotone, il répondit :

- Oui, je suis Kilio.

Il ne répondit pas à la seconde question. Parce qu'au fond, il n'avait aucune idée de la réponse, pas plus qu'il ne savait les intentions de cette louve. Mais sans savoir pourquoi, il l'appréciait. Pas parce qu'elle était gentille, ou sympathique. Non. Peut-être l'était-elle, mais ce n'était pas cela. C'était l'incroyable sentiment qui émanait d'elle. De la tranquillité, de la compréhension, de la sagesse, Kilio ne savait pas ce que c'était, mais cela l'attirait.

La louve fixa un instant la cascade. C'est vrai que cette chute d'eau était...attirante. Comme toutes les chutes d'eau. Comme l'eau en général, en fait. Sauvage, impétueuse, indomptable. Kilio aurait voulu être comme ça. Autre chose qu'un pauvre louveteau promis à un destin qu'il ne voulait pas.

"- Tu t'entends bien avec tes frères et sœurs ?"

Kilio plissa les yeux. A quoi bon cet question ? Que voulait-elle, au fond ? Il essaya de la percer, comme il savait le faire pour certains loups, mais il n'y arriva pas. Elle était impénétrable. Comme si un mur invisible empêchait tout intrusion. Mais pas toute sortie. Un moment, il eut envie qu'il n'en avait pas, ou bien qu'il les détestait. Mais ce n'était pas vrai. Il ne les détestait pas, parce qu'ils ne le connaissait pas. Parce qu'il aurait pu ne pas être là, ce serait la même chose. Alors au fond, il ne savait pas comment les voir.

Tournant dos à son interlocutrice, il se rapprocha du bord de la cascade, et ferma les yeux. Une larme ruissela le long de son petit museau. Comment pouvait-il vivre ainsi éternellement ? Comme un simple objet du paysage, comme quelque chose de banal, qu'on voit tous les jours. Qui n'est pas intéressant ? Un poids, plus qu'autre chose. Il ne serait pas futur Alpha, quoi qu'il arrive. On le chasserait, on lui tendrait une embuscade, on le tuerait, ou quelque chose du genre. Il n'avait pas le cran pour devenir Alpha, pas plus que celui pour être un Shadow, notamment le Fils Aîné d'Alaska et Whitefang, l'Héritier.

- Ils ne savent même pas que j'existe. Ils ne me connaissent pas. Je ne suis personne pour eux, pas plus que pour mes parents, ou pour vous. Personne. Un rien insignifiant.

Le petit loup se tourna vers Sharka, intrigué. Il plissait les yeux et la fixait étrangement. Au bout de quelques secondes, la louve compris qu’il essayait de la cerner, de deviner ses intentions. Eh bien il pouvait toujours chercher. Comment pourrait-il la comprendre alors qu’elle-même avait du mal ? Sharka lui adressa un sourire amical, tentant de le mettre en confiance. Elle ne lui voulait absolument aucun mal.
Kilio abandonna et tourna le dos à l’Alpha. Il se rapprocha un peu du bord de la cascade. Il semblait plongé dans ses pensées. Au bout d’un moment, il répondit enfin :

« - Ils ne savent même pas que j'existe. Ils ne me connaissent pas. Je ne suis personne pour eux, pas plus que pour mes parents, ou pour vous. Personne. Un rien insignifiant. »

Une tristesse mêlée d’amertume se dégageait de ces paroles. Sharka était choquée. Comment était-il possible de ne pas faire attention à ses petits ? Sharka n’était pas mère, elle ne pouvait peut-être pas comprendre totalement cette notion, mais elle restait persuadée qu’une mère devait déborder d’affection pour ses enfants. Même Alaska.
Sharka ressentit un élan d’affection pour le louveteau. Le pauvre n’avait pas l’air d’être fort aimé. Elle essaya de lui remonter le moral comme elle le pouvait :

« - Tu n’es pas rien, Kilio. Tu es. Tu es un louveteau. Tu es un Shadow. Tu es un être à part entière et il n’y a que toi qui peux le prouver à ta famille et à ta Meute.Et puis quand bien même ils t’ignorent, c’est qu’ils sont trop idiots pour fermer les yeux. »

« - Tu n’es pas rien, Kilio. Tu es. Tu es un louveteau. Tu es un Shadow. Tu es un être à part entière et il n’y a que toi qui peux le prouver à ta famille et à ta Meute.Et puis quand bien même ils t’ignorent, c’est qu’ils sont trop idiots pour fermer les yeux. »

Comment pouvait-elle savoir ? Ce n'était même pas de l'ignorance, c'était de l'indifférence. Quelque chose que vous voyez tous les jours, qui fait parti de votre quotidien, mais qui n'a aucune importance. Pas plus qu'une simple feuille, ou qu'une légère brise. Quelque chose qui, quoi qu'elle fasse, ne change absolument rien. Quelque chose qui ne compte pas. Et ce quelque chose, c'était lui. Il aurait pu hurler, se faire dévorer par un ours, ou par quoi que ce soit d'autre, personne ne s'en serait préoccupé. Disparaître. La solution était peut-être là. Partir, loin, très loin, pour ne jamais revenir. Et quand bien même les Shadows s'en apercevraient, ils ne chercheraient même pas à le retrouver. Oui, partir. Loin, loin de tout ça. Tout seul, sans personne. Vivre de sa propre personne, sans rien devoir aux autres. Pas besoin d'être poli, pas besoin de respecter des règles, pas besoin de se montrer féroce. Juste être libre. Oui, au fond, c'était ça que Kilio voulait.

Il se rapprocha encore du bord, de sorte que ses pattes avants soient presque dans le vide. Et il leva la tête, humant la légère brise. Il avait mit un nom sur ce qu'il voulait, la liberté. Soudain, le sol humide se déroba sous ses pattes, et la terre commença à s'effriter. Il recula, tentant tant bien que mal de revenir sur la terre ferme, mais sous son poids, tout s'effondrait. Dans un dernier effort, il planta ses griffes dans la terre, et se retrouva perché à quelques dizaine de mètres de hauteur au dessus du lac, le corps dans le vide, seulement retenu par ses petites griffes. Et, alors qu'il paniquait l'instant d'avant, le temps parut comme se ralentir. Comme s'arrêter même. Il réfléchit, et songea que la mort était une délivrance comme une autre, et qu'il serait libre, de cette manière ou d'une autre. Car il n'en doutait pas, s'il tombait, il chuterait sur les rochers, avant de tomber dans l'eau. A ce moment là, il sut quelle était sa décision. En fait, il n'en doutait pas depuis la minute où il s'était retrouvé perché là. Alors, il jeta un dernier regard à la louve grise. Elle avait essayé de l'aider. Elle était gentille. Mais elle ne pouvait rien pour lui. Et tout le monde croirait à un accident, personne ne penserait qu'il avait volontairement lâché prise. Personne, si ce n'est lui, et peut-être cette louve.

Une lueur de remerciement et de soulagement passèrent dans les yeux du petit louveteau, avant qu'il ne lâche prise. Il se sentit basculer dans le vide. Cela lui parut durer une éternité. Le paysage défilait sous ses yeux, qu'il ferma. Il était apaisé. Pour la première fois, il était heureux.
Une fraction de second plus tard, son petit corps heurta violemment les rochers, avant de tomber dans l'eau.

Alaska trottait, à l'affut, non loin de la cascade. Elle chassait, tâchant d'oublier tous ses soucis. Il fallait nourrir sa Meute. Et bien que chacun puisse assurer sa propre survie, son rôle était de veiller sur eux, tous ces loups qui croyaient en elle. Elle ne pouvait pas les abandonner. Alors, bien que ce soit dur, elle continuait d'avancer, la tête haute, en s'appuyant sur Whitefang, et Jewel. Et elle chassait. Pour oublier, pour se vider, pour se faire plaisir. Une odeur de lapin lui avait titillé la truffe lorsqu'elle traversait la forêt, et d'après le fumet, il y en avait plusieurs. Alaska les traquait donc depuis tout à l'heure. Elle déboucha bientôt à l’orée de la forêt, tout près de la cascade. D'où elle était, elle voyait nettement le petit bassin au pied des rochers, et captait le bruit des chutes d'eau. Soudain, un genre de roulement résonna dans l'air. Intriguée, Alaska accéléra l'allure, pour aller voir ce qui se passait.

Quand elle arriva, elle avisa l'éboulement. Il y eut alors un drôle de bruit, comme quelques chose qui tombe dans l'eau, mais pas une pierre, quelque chose de plus léger. Et ce qu'elle repéra la glaça d'effroi. Là, dans le bassin, flottait un petit corps inerte. Un petit louveteau. Son petit louveteau. Kilio. Elle le reconnut tout de suite, aux marques de son pelage. Alors, elle se précipita dans le bassin, avançant aussi vite qu'elle pouvait, malgré l'eau qui la ralentissait. Les larmes ruisselaient déjà sur son museau. Parce que, même si elle espérait en implorant tout les dieux, au fond, elle savait qu'il n'était plus là. Il était déjà parti. Quand elle arriva, elle saisit immédiatement le corps dans ses mâchoires, et retourna sur la rive. Là, elle donna des petits coups de museau, tâchant d'aider le petit corps à respirer. Mais bien vite, elle du se rendre à l'évidence. Kilio était mort. Encore un. Après ses parents, voila que ses ancêtres s'attaquaient à ses petits. Certes, elle avait été distante ces derniers temps, mais elle avait fait des efforts. Et il était vrai que Kilio était un peu à part, il ne se mêlait pas vraiment à eux, mais Alaska avait pris ça comme son caractère. Elle ne voulait pas le forcer. Et elle avait confiance en lui. Il était indépendant, et pas tête brûlée comme l'était Myosotis ou Reiko. Ni prêt à tout pour sauver l'honneur, comme Aloe ou Imalys. Non, il était différent. Mais il n'était plus.

Attirant le petit corps à elle, la louve de neige le lécha longuement, pleurant la perte de son fils, héritier du rang d'Alpha, futur meneur. Comment était-ce donc arrivé ? Alaska n'avait pas envie d'y réfléchir, seul comptait le petit corps inerte, et le trou béant qui s'ouvrait dans le cœur de la louve. Elle posa son front sur celui de son fils, et murmura des excuses, des mots doux, pour l'apaisé, même s'il était déjà parti. Puis, la tristesse laissant place à la colère, elle se releva, et hurla au ciel :

- Pourquoi encore ? N'en avez-vous pas assez de vous acharner ? Que vous ai-je fait pour que vous preniez ainsi tous ceux que j'aime ?

Elle garda le museau en l'air, les yeux fermés, les larmes ruisselants le long de son cou. Comment annoncer ça à Whitefang ? A ses autres petits ? A la meute ? Était-ce un complot pour prendre la place d'Alpha ? Non, Alaska n'y croyait pas. Elle avait confiance en ses loups. La louve de neige ouvrit doucement les yeux, le soleil l'éblouissant. Elle était perdue, désorientée, une nouvelle fois. Un point gris attira son attention, au sommet de la cascade. Elle plissa les yeux, et quand elle reconnu le loup, elle sentit la fureur monter en elle, et elle se mit à grogner. Sharka. Sharka se trouvait juste à l'endroit d'où était tombé Kilio. C'était elle. Encore elle. Elle avait tué Kilio, c'était elle la responsable. Sans même avoir étudié les autres possibilités, Alaska ne vit plus que celle-ci. Désormais, l'envie de vengeance, de meurtre, fleurissait dans son esprit. S'en était assez. Elle irait trouvé Sharka, et la tuerait. Et si elle devait y rester, alors elle y resterait. Mais pas question de laisser plus de temps à cette louve qui était la source de tous ses malheurs, depuis bien des Lunes.

[désolé, c'est franchement...nul xD]