"Toi, petit loup, tu l'ignore, mais quelqu'un le sait surement. Parce que tu sais qu'un loup, peut importe qui il est, ne peut pas bouger tout seul durant son sommeil, quelqu'un d'autre l'aura fait pour toi. Ta tête tourne un peu et cette brume bienfaisante t'encourageant au sommeil quitte lentement ton cerveau, te permettant d'observer ton environnement. Tu ne peux pas bouger, ou à peine, donc, tu t'inquiète. Tu sens ton taux d'adrénaline monter, ta panique grimper, ton cœur se débattre alors que tu réalise qu'on t'a drogué. Et qui dit drogue, tu le sais bien, dit humain. Tu peine, mais réussies à relever la tête un peu. Ce que tu vois, ce qui t'entoure, est loin de tout ce que tu n'as jamais contemplé. Tu vois des murs, blancs et lisses, mais tu ne comprends pas. Tu ne sais pas, pauvre créature, ce que sont des murs, tu ne connais pas de limite à l'espace, pas de barrières infranchissables. Tu ne comprends pas, ce soleil au-dessus de toi t'aveugle, mais il ne dégage aucune chaleur. Tu ne comprends pas. Tu es perdu, pauvre loup. Mais tu n'es pas seul, oh non, tu n'es pas seul. Quand ton corps te le permet, tu réussies à te relever un peu, mais tu tremble sur tes pattes. En bougeant la tête, tu t'aperçois que quelque chose est prit autour de ton cou, cela ne te fait pas mal, mais t'irrite énormément. Tu devine que les humains, ceux qui t'ont probablement enlevé, t'ont mit un collier, cette chose que leur chiens portent. Ta fierté en est blessée, parce que toi, loup sauvage, tu n'es pas à la botte des humains, ces tueurs, ces destructeurs. Tu les tuerais bien, si tu pouvais. Mais tu n'as pas le temps de t'attarder sur cet affront, tu entends un bruit. Tu ne savais pas, tu n'avais pas encore sentit jusqu'à maintenant, mais un autre loup est dans la même pièce que toi et tu viens de le voir. Enfin, tu ne le vois pas vraiment puisqu'il est caché dans une grande cage dont la porte est ouverte, caché dans le seul coin d'ombre de la pièce, tu ne vois que ses yeux qui reflètent la lumière. Tu vois, dans le coin opposé, une autre cage et devine qu'elle est là à ton intention. Tu gronde intérieurement, n'ayant pas l'intention d'entrer dans quelque cage que ce soit, pas de ton vivant. Parce que, toi, jeune loup, tu es fier, tu es droit et sauvage, tu es un prédateur, tu es au sommet de la chaîne alimentaire et, plus que tout, tu es un loup solitaire. Tu n'apprécies pas qu'on t'ait enlevé contre ton gré à ta belle forêt, mais tu apprécies encore moins qu'on t'ait enfermé avec un autre loup. Tant qu'à souffrir, tu préfère de loin souffrir seul. Pauvre fou, pauvre loup. Tu ne sais pas ce qu'on attend de toi, tu ne le saura peut-être jamais, mais, tout ce qui t'inquiète, c'est de savoir si tu reverras un jour le cerisier près de ta tanière, la rivière brillant sous la lumière du jour, le soleil à travers les feuilles des sequoias, le lever du jour sur la colline à la limite de ton territoire. Tu ne désire rien de plus que ta petite vie tranquille, que ta solitude, ta paix. Mais, petit loup, tu as perdu tout cela quand tu t'es endormit dans ta tanière hier soir, quand des humains à la recherche d'un sujet de ta race ont croisés tes traces de pas, quand ils t'ont trouvé profondément endormit, quand ils t'ont emmenés dans leur véhicule, t'ont sortit de la forêt, t'ont arraché à ton habitat naturel. Tu as tout perdu, jeune loup, et tu n'en es même pas pleinement conscient. Mais cela viendra. Cela viendra."

Le noir. Le vide sous mes pas. La sensation d'apesanteur tout autour de moi. Mes yeux cherchant désespérément une simple source de lumière, en vain. Puis un cri. Strident, assourdissant, insoutenable. Courant à l'aveuglette et serrant les dents pour tenter d'ignorer le hurlement de douleur qui résonnait dans mes oreilles, je sentis le vent glacé me fouetter le visage, sans pour autant que je vois le moindre paysage.

Seulement du noir. Du vide sous mes pas et la sensation d'apesanteur tout autour de moi. Et c'est alors qu'une lumière blanche m'aveugla. Je détournai le regard, cachant sous ma fourrure mon museau gelé pour le réchauffer. Lorsque je relevai enfin la tête, après plusieurs minutes, une étendue blanche s'étendait à perte de vue devant moi. La neige recouvrait la moindre petite parcelle de ce territoire inconnu. Je frissonnai. Reculant de quelques pas pour me protéger de la brise glacée, je trébuchai sur quelque chose. Faisant volte-face, je m'éffondrai. Le corps de Jenny était étendu sur le sol froid, gisant au beau milieu de cette étrange grotte où nous nous trouvions. Les larmes me montèrent alors aux yeux lorsque je réalisai, et je ne pus les retenir. Déposant ma tête contre sa poitrine, je m'endormis, baignant dans son sang, bercé par ma propre respiration.

Le noir. Le vide sous mes pas. La sensation d'apesanteur tout autour de moi. J'ouvris lentement les yeux, encore tout endormi. Le soleil caressa mon pelage en bataille tandis que je m'étirai de tout mon long. Mais alors que je m'apprêtai à me donner un coup de langue sur le dos, je l'aperçu. Ce paysage. Et tout me revint. Seulement du noir. Du vide sous mes pas et la sensation d'apesanteur tout autour de moi. Et puis ce cri, ainsi que ce corps. Son corps. M'approchant d'un pas hésitant, je constatai que le corps n'était plus là, mais la lande, elle, était bien présente. Non plus recouverte de glace, mais d'un milliers de papillons oranges qui recouvraient les épis de blés du grand champ. Que faisais-je ici ? Pourquoi faisais-je deux fois le même rêve ? Trop de questions bouillonnaient dans ma tête et menaçaient de la faire exploser. Tandis que les interrogations se bousculaient dans mon esprit, un craquement me fit revenir à la réalité, ainsi qu'un grondement. Ne sachant que faire, je bandai mes muscles et me retournai. Jenny me regardait, les yeux emplis de haine. Lorsque je baissai la tête, ne pouvant supporter son regard, j'aperçu la marre de sang dans laquelle elle baignait. Elle me murmura quelque chose d'inaudible. Mais l'expression dans ses pupilles se modifia, pour se transformer en une forme de douleur et de tristesse confondue. Mais qu'avais-je fait ? Soudain, elle entrouvrit les mâchoires pour prononcer quelque chose.