Le soleil aurait dut être à son zénith, à une heure pareille de l'après-midi. Pourtant aucune lueur chatoyante ne vint éclairer la fourrure immaculée de la louve. Celle-ci se balançait au gré du vent, changeant de direction à chaque nouvelle brise. Le temps était orageux, et la luminosité des montagnes du ciel était comparable à celle de la forêt sombre. Les nuages noirs présents dans le ciel signalaient un temps neigeux, comme ce fameux soir. Jewel était magnifique, au sommet d'une des montagnes. Surplombant le territoire des Shadows, jamais elle n'eut autant ressemblé à Alaska qu'en cet instant. Si ses yeux n'avaient pas été de couleur sable, on l'aurait confondue avec l'Alpha. Son doux regard fixé vers le ciel semblait attendre quelque chose. Et ce quelque chose arriva, les premiers flocons de neige. Observant les petites étoiles blanches flotter gracieusement dans les airs, ballotées par la moindre brise, Jewel se souvint de ce soir là.

Ce fameux soir, où la faucheuse l'avait frôlée de très près. Jewel s'était toujours demandé si la vie était déjà toute tracée, si quelqu'un, là haut, décidait des évènements de tel nouveau-né, ou de tel autre. Et plus que tout, elle se demandait si tout ce qui lui était arrivé était lié au destin. Était-ce le destin qui l'avait privée de sa famille, était-ce le destin qui lui avait fait côtoyer la mort de si près, était-ce le destin qui lui avait fait endurer tant de choses pour enfin la confier à Alaska? Car en fin de compte, elle n'était pas la protectrice d'Alaska. C'était Alaska, qui était sa protectrice. Sans elle, jamais Jewel ne serait parvenue à un tel niveau, sans elle jamais la louve arctique n'aurait survécu. Sans l'Alpha des Shadows, jamais, non jamais Jewel n'aurait pu avoir de raison de vivre. Tant de fois durant son voyage en solitaire, elle avait pensé à abandonner. Pourtant une volonté venue d'on ne sait où lui hurlait de se relever et d'avancer. Cette volonté venue d'ailleurs l'avait poussée jusqu'au territoire des Shadows, où elle avait rencontré la louve qui emporterait le plus à ses yeux. Non, aucun liens véritables ne les unissait, car pour créer un lien il faut que le sentiment soit partagé, pourtant Jewel ressentait véritablement quelque chose de très puissant, envers son Alpha. Cette volonté de la protéger envers et contre tout, ce désir de la servir jusqu'à son souffle ultime.

- Jewel...

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de la concernée. Cette voix, et ce ton... Non, ils ne devaient pas se marier l'un l'autre ! Elle ne connaissait que trop bien ce timbre, remplit de tristesse et de désespoir, de regrets.. Ce ton morne, sans vie.. Et cette voix.. Celle de son Alpha, de sa protégée.. Non ! Elle se refusait de la laisser ainsi. En un instant, en un seul mot, le ton d'Alaska avait bouleversée Jewel. Les pupilles rétractées, les larmes perlaient à ses yeux, symboles du choc émotionnel dont elle avait été victime. Lentement, elle se retourna. Sa lenteur était telle que l'on l'aurait crut au ralentis, mais en réalité, elle avait peur de voir ce qu'elle s’apprêtait à apercevoir. Elle avait peur de voir Alaska, car elle savait, oui, elle ne connaissait que trop l'expression accompagnant le ton de sa voix. Elle savait déjà, sans même avoir finit de se retourner, l'aspect qu'auraient ses yeux. Elle savait déjà tout, sans même qu'Alaska ait eut à lui dire quoi que ce soit. Car elle avait vécut ça, oh oui, et malheureusement pas qu'une seule fois. Mais pire encore, ses frères l'avaient vécu. Sa sœur l'avait vécu. Et pire que tout, sa mère. Qu'elle souffre, Jewel en avait l'habitude. Mais que ses proches, que les êtres les plus chers à son cœur ressentent la souffrance était tout bonnement insupportable à la louve des neiges. Alors que les souvenirs tous plus douloureux les uns que les autres remontaient à la surface, l'action se termina. Et elle put enfin apercevoir l'expression qu'elle redoutait tant.

Les superbes yeux bleus de sa protégée ne possédaient plus aucune lumière, ils étaient éteints, tristes, ternes, comme si un voile sombre était tombé sur eux. Son regard était mort. Alors remonta sa toute première vision de la souffrance. Celle de sa mère. Cela n'avait duré qu'un instant, presque une fraction de seconde, mais elle l'avait vue, pour la première fois, et elle ne cessa plus de la contempler depuis. Lorsque le cou de sa mère fut brisé par son propre compagnon, alors Jewel avait aperçu la plus douloureuse des expressions, la plus déchirante, la plus violente. Ses yeux écarquillés n'eurent pas le temps de se fermer, alors le regard jaune de la petite resta planté dans celui de sa mère, ne comprenant pas, ou plutôt ne souhaitant pas réaliser. Alors, apercevant en ce regard pourtant dénué de vie tout ce que sa mère avait put ressentir à l'instant même de sa mort, la petite avait éclaté en sanglot. Elle aurait tant voulu changer ce regard en une expression de bonheur, alors elle avait calé sa petite tête de louvette contre celle de sa mère, ignorant le sang qui coulait sur son pelage, ne souhaitant que le bonheur de sa défunte maman. Ses propres cris lui revinrent en mémoire, déchirant d'avantage son cœur ayant pourtant grandit et s'étant renforcé depuis ce jour-là.

" MAMAN ! MAMAN JE T'AIME ! JE T'AIME MAMAN ! MAMAAN ! .. MA..man.. " Avait-elle hurlé, espérant que l'âme de sa mère l'entende, tout là haut, et qu'elle soit heureuse.

Non, elle ne pouvait pas, elle ne supporterait pas de laisser Alaska ainsi sous ses yeux, sachant son état, ne le connaissant que trop bien. Son cœur sembla se déchirer comme ce jour là. Non, ce n'était pas une illusion. Son cœur se déchirait bien comme ce jour là. Les larmes perlaient toujours à ses yeux, alors qu'elle tentait de les contenir à ses paupières. Alors sa voix, douloureuse, meurtris par la douleur de l'être cher, s'éleva lentement, remplie de ce même amour qu'elle avait hurlé au ciel le jour de la mort de sa mère, en espérant que celle-ci l'entende dans l'autre monde.



Les larmes étouffaient sa gorge, transformant sa parole en un murmure remplit d'émotions. Comme si leurs deux cœurs avaient été reliés l'un à l'autre, Jewel éprouvait tout le désespoir et la souffrance renfermée dans le cœur de son Alpha. Ne trouvant plus ses mots, la louve des neiges se contenta de reproduire le geste qu'elle avait fait, ce jour là. S'approchant lentement, vacillante, titubant presque à cause de l'émotion, elle arriva à la hauteur de sa protégée. Alors elle étendit son cou, lentement, et cala son museau contre la tête de la malheureuse. En ce simple geste, Jewel faisait passer tout ses sentiments positifs, tout son amour, son respect, et ce fameux liens, ce fameux attachements qu'elle éprouvait, si fort, si puissant, semblant être indestructible, pour Alaska. Ce lien, ce sentiment indescriptible pourtant omniprésent dans le cœur de la protectrice, elle tenta de le lui faire parvenir en cette simple étreinte.

[Désolé, c'est corut, j'espère que ça ira quand même =)]

- Que se passe t-il, Jewel, à quoi pense-tu ?

A quoi elle pensait ? Concrètement, à rien. Mais en même temps, à tout. Elle n'avait aucune pensée directe, cependant en sa mémoire remontaient tous les souvenirs, et se bousculaient les moindres paroles de sa conscience. Chaque souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, remontèrent à la surface. Son esprit fit d'abord défiler les bons : Lorsqu'elle jouait avec ses frères, lorsqu'ils se chamaillaient pour téter, lorsqu'ils dormaient les uns serrés contre les autres, lorsqu'ils se taquinaient.. Les apprentissages que leur faisait leur mère, les journées passées à courir dans la neige et à chasser les lapins.. Tout cela lui manquait tellement. Et puis les mauvais, eux aussi malheureusement, remontèrent à leur tour. La mort de sa mère, et sa première contemplation de la souffrance pur. Le regard jaune de sa mère se ternissant, jusqu'à en devenir gris. Le regard vitreux de cette dernière, défunte, qui continuait à souffrir de la trahison de celui qu'elle avait aimé et avec qui elle avait construit sa vie. Ses cris de jeune louvette, hurlant à sa mère son amour, et ne pleurant pas pour la mort de celle-ci, mais pour la souffrance noircissant ses yeux. Son enfance à grandir sans mère, ses progrès qu'elle ne pouvait montrer qu'à ses frères, qui partaient au fur et à mesure que leur pouvoir se révélait. Sa souffrance augmentait à chaque nouvelle rencontre avec le désespoir, se trouvant à chaque fois dans le regard des trahis. Son petit cœur se serrant, comme s'il allait imploser, pour colmater les déchirures du malheur.

Et le grand final. Son pouvoir se manifestant, et le meurtre de son père. Son propre père avait essayé de la tuer, comme il l'avait fait pour ses autres fils. Mais elle, elle s'était défendue. Ou plutôt son pouvoir, comme animé d'une volonté protectrice venue d'ailleurs, l'avait défendue, tuant l'agresseur sur le coup. Alors qu'elle avait vu son père s'élancer à vive allure, tout crocs sortis, visant sa gorge, son cœur s'était brisé, et les souvenirs, tous plus douloureux les uns que les autres, étaient remontés à la surface. Son cœur déchiré avait éprouvé la haine, la tristesse, le désespoir, la souffrance. Alors, ses pupilles rétractées avaient été noyées sous un flot de larmes coulant sur ses tempes. C'est alors que l'impact eut lieu. Un pic de glace était apparut devant elle, la protégeant de l'attaque de son père, qui s'empala sur la pointe tranchante. Alors elle avait éprouvé le remord. Qu'avait-elle fait ? Elle était devenue comme lui, le monstre qui avait tué un membre de sa famille. Plus perturbée que jamais, elle avait fuit. Fuit la mort, fuit son destin de chassée de la meute, fuit son passé. Elle avait courut jusqu'à l'épuisement dans la neige glacée, jusqu'aux territoires inconnus. Alors, à bout de force, elle s'était écroulée. La mort était venue l'accueillir, lui tendant ses bras funestes. Mais une lueur était apparue, la tirant de son inconscience. Une forme, divine, se trouvait devant elle. Sa mère. Puis le vent importa l'apparition venue d'ailleurs, laissant place à une silhouette bien réelle : Alaska. Son calvaire s'était terminé à cet instant précis. Toute la souffrance accumulée en elle avait été enfermée en une immense cicatrice traversant son cœur.

Alors, à quoi pensait-elle ? A sauver Alaska de cette souffrance qu'elle avait elle même éprouvé pendant bien trop longtemps. A sauver son Alpha de ce monstre invisible qu'est la souffrance. A protéger sa propre sauveuse. Reculant de quelque pas, Jewel faisait désormais face à Alaska, et ne cachait plus les larmes qui perlaient à ses yeux. Alors sa voix s'éleva, lourde et pleine d'émotion, pour répondre à celle qui importait le plus pour elle :



Puis un autre flash envahit sa mémoire. Son discours, avant la guerre. Ce discours qu'elle n'avait pas prononcé, mais plutôt laissé échappé de son cœur. Ces phrases, ces mots, qu'elle voulait faire comprendre à Alaska. Cet amour, ce respect qu'elle éprouvait pour elle. Et surtout, ce besoin de la voir heureuse.



Son ton était emplit de sentiments positifs. Les mêmes qui avaient emplis il y a quelques instants son étreintes. Sa voix transmettait tout son amour et son respect pour son Alpha, quand à son ton, il était plus que sérieux, et en même temps bouleversé. Son expression, quand à elle, était mitigée entre la douleur de voir l'être cher souffrir, et son sourire chaleureux qu'elle affichait en espérant remonter le moral d'Alaska.

- Dis-moi "Tu", Jewel. Le "vous" ne correspond pas, pas avec Toi. Prenant une immense inspiration, l'Alpha reprit : - Mes soucis ne doivent pas t’importuner. Sans Toi ce serait bien pire, et tu ne peux absolument rien faire pour m'aider. Je ne le sais pas moi-même. Tu dois savoir que ces soucis, qu'on s'efforce d'oublier, nous hantent jour et nuit, et qu'on ne peut y échapper. Enfin, elle chuchota, plongeant son regard dans celui de Jewel : - Ne te charge pas d'un fardeau supplémentaire, Jewel, tu ne le mérite pas. Ces soucis sont miens, et ne t'appartiennent pas. Ils me hantent depuis toujours, et ne me quitteront jamais. Ne te torture pas l'esprit pour eux.



Abaissant son regard sur la neige blanche, Jewel se laissa alors emporter par ses souvenirs, laissant libre cour à ses émotions.


Revoyant toute les atrocités de sa vie, et surtout, revivant comme si elle y était la mort de son père, Jewel ne savait plus quoi éprouver. De la haine et de la rancune contre celui qui avait massacré les siens, ou de la culpabilité, pour s'être transformée en un monstre tel que lui, et pour avoir tué son propre père ? Bien souvent, la louve des neiges se demandait ce qu'elle était. Était-elle un monstre, ou bien une rescapée ? Était-elle une Shadow, ou bien une indigne ? Elle aimait plus que tout sa meute, mais ne s'en trouvait pas digne, pur le moins du monde.

- Chut, Jewel. Tu mérites plus que quiconque de faire partie de ma Meute. Et sache que la moindre de tes paroles me réconforte. Je ne serais rien sans Toi. Tu vaux autant que n'importe lequel des membres de ma famille à mes yeux, et même bien plus que certains...

L’Alpha venait de caler sa tête contre celle de Jewel. Ce simple contact fit remonter un doux souvenir de la mémoire de la belle. Lorsqu’elle était jeune et qu’elle pleurait, c’était ce que faisait sa mère pour la consoler. Elle lui donnait un coup de langue affectueux sur le haut du crâne, et callait son front contre la tête de sa petite. Ce doux geste l’avait toujours réconforté, et aujourd’hui elle savait qu’Alaska disait vrai. Jewel doutait d’elle-même, de sa valeur, de tout. Mais Alaska, elle, était certaine de tout au sujet de sa protectrice. Alors la louve arctique s’était laissé persuadée, hochant la tête, les yeux fermés. Lorsqu’elle les rouvrit, aucune larmes ne perlèrent à leurs coins, seul une lueur était présente dans son regard. Une lueur doré, symbole de gratitude et surtout, symbolisant une joie naissante.



Une douce brise vint secouer leur pelage d’un blanc plus pur que celui de la neige. Cette brise sembla céleste, aux oreilles de Jewel. Pourquoi ? Parce qu’en soufflant, le vent avait soulevé la neige, qui était venu tourbillonner autour des deux louves. Et en ce moment précis, en cet instant merveilleux, les pupilles de la belle s’étaient rétractées en entendant la voix de sa mère. Elles n’étaient pas sur la montagne aux esprits, et pourtant, elle n’avait pas rêvé. Elle avait bel et bien entendu sa mère, oui, sa défunte mère lui avait murmuré au creux de l’oreille « Vis. ». C’était si peu, et pourtant, cela voulait tout dire. Relevant sa tête, désormais libérée d’un poids considérable, Jewel avait plongé son regard clair dans celui d’Alaska. Elle avait vraiment des yeux magnifiques.



Prenant une inspiration clair et relâchée, Jewel annonça :



Souriant désormais, elle ajouta, d’un ton amusé :



Elle riait d’un rire léger, libérée d’un poids considérable, heureuse d’aimer sa meute, son Alpha, heureuse de savoir pourquoi et comment vivre.