Le soleil à peine levé. Une légère brise. La solitude. Chose que Myosotis appréciait. Être seule. Être seule, sans personne pour vous importuner. Être seule, sans personne pour vous remettre en question. Être seule, sans personne pour vous dicter votre conduite. La liberté. Parce que chacun est libre de ses actes. De ses gestes. De son avenir. Les contraintes que l'éthique imposait à la Meute, Myosotis n'en avait que faire. La louve de neige détestait les chaînes que lui imposait sa vie depuis qu'elle était petite, et elle comptait bien les briser. Par la force. Parce qu'il n'y avait d'autre choix, d'autres issues.

Elle serait bientôt nommé Alpha. Par son père. Ce qui assurerait une partie de sa légitimité, au moins face aux autres Meutes. Mais pas forcément chez les Shadows, puisque pour parvenir à cet accord, elle avait du tenir tête à son père. Tenir tête, et le menacer. Tenir tête à la douleur face à la mort de sa mère. Mais cela valait la peine. Elle deviendrait Alpha des Shadows. Et peu importe si des loups suivaient Whitefang et Kenoa. Elle ne contraindrait personne à rester, pas plus qu'elle ne contraindrait ses loups à respecter des règles qu'elle jugeait futiles et stupides. Non. La seule chose qu'elle leur demanderait, ce serait de représenter fièrement la Meute, de faire preuve de loyauté, et de lui montrer du respect. Rien de plus, rien de moins.

En attendant, elle évitait de rester trop au camps, parce qu'elle ne tenait pas plus que ça à voir son père. Elle l'aimait. Mais lui pas. Elle était sa fille, mais elle l'avait trahi - et elle ne le regrettait pas vraiment - simplement, elle aurait aimé que cela se termine autrement. Myosotis était donc là, à chasser. Pas sur son territoire. Sur les territoires neutres. Il faisait chaud, et elle avait envie de se rafraîchir sans personne pour l'importuner. Elle s'était donc rendue aux Rapides. Là, les rochers escarpés et le lieu difficile d'accès la protégeait du plus grand nombre. De plus, l'eau fraîche et le courant violent l'apaisaient. Parce qu'ils lui ressemblaient.

Myosotis, assise, contemplait son reflet déformé par l'eau. Ses yeux améthystes brillaient comme deux braises. Elle les aimait. Parce que cette couleur n'était pas courante. D'après ce qu'elle avait entendu, il n'y avait qu'un autre loup possédant les mêmes yeux. Un Wind. Myosotis voulait le rencontrer, pour voir. Pour constater. On disait d'elle que son regard brûlait. Etait-ce vraiment vrai, au fond ? Ou était-ce l'ensemble d'elle ? Sa carrure massive et musclée, bien plus proche de Sharka, sa tante, que de celle de sa mère. Etait-ce de famille ? Sidka était-elle trapue, ou plutôt fine ? Et Oeil-de-Lynx ?

Un bruit tira Myosotis de ses pensées. Un bruit léger, mais assez fort pour être perceptible par une oreille un tant soit peu fine. Levant le nez, la louve de neige huma l'air. Un autre loup était là. Un peu furieuse d'être dérangée, elle voulut voir de qui il s'agissait, puisqu'elle ne reconnaissait pas l'odeur. Se levant, elle bondit souplement de rocher en rocher, jusqu'à se trouver en amont d'un petit bassin, où se trouvait le loup en question. Ou plutôt la louve. Un sourire vicieux se dessina sur les babines de Myosotis. Plantée-là, debout, le pelage étincelant au soleil, ses muscles puissants roulant sous sa fourrure, et ses yeux améthystes dur comme de l'acier, elle déclara d'une voix moqueuse :

« La baignade est agréable, j'espère. »

" Oui, elle est très agréable, merci ! Et toi ? Je peux savoir pourquoi tu es là à interrompre ma baignade ? "

Myosotis lâcha un rire sarcastique. Quelle louve naïve et et simplette.

« Moi ? Te déranger ? »

Descendant d'un bond de quelques rochers, elle se rapprocha de la louve, sans pour autant quitter sa place surplombante. Ses yeux se firent plus vifs, et sa voix plus dure lorsqu'elle ajouta :

« Je suis là depuis l'aube, seulement tu n'a pas l'air de savoir te faire discrète. Et je déteste les importuns. »

Myosotis fit rouler ses muscles sous sa fourrure, déclenchant une onde de lumière lorsque le soleil se refléta sur son pelage. Elle n'aimait pas qu'on la dérange, mais par dessus tout elle n'aimait pas qu'on la dérange en disant qu'elle dérange. Mais elle prenait plaisir à malmener, sans aucun doutes possibles.

" Il va falloir t'y faire alors ! "

Sur quoi la jeune louve se hissa à son tour sur le rocher où était juchée Myosotis, avant de reprendre nonchalamment sa toilette. Furieuse d'être mise de mauvaise humeur aussitôt, la louve de Neige asséna un coup de patte sur la joue de l'intruse, qu'elle fit légèrement basculer, sans pour autant la faire tomber du rocher. Montrant les crocs, elle cracha :

« Insolente ! Ne sais-tu donc pas à qui tu a affaire ? »

Se léchant les babines et faisant de nouveau disparaître ses crocs, elle se redressa légèrement, quittant sa position défensive, et ajouta d'une voix moins agressive, mais pourtant dur de sens :

« Apprend à réfléchir avant de parler et d'agir, sans quoi il va t'arriver des malheurs.»

" Si ! Je sais que tu es une Shadow ! Et je te remercie mais j'ai très bien réfléchi avant de dire ses mots !"

Myosotis prit une moue moqueuse, comme si elle était impressionnée :

« Oh, tu sais ça ? Formidable ! »

Puis, tout sourire disparut de sa tête, et ses yeux se firent plus pointus. Elle ne voulait pas être « une » Shadow, mais « la » Shadow. Elle voulait, comme sa mère avant elle, être connu de part et d'autre du Territoire, et même dans les plus lointaines contrées. Elle voulait qu'on la craigne. Elle voulait inspirer la sauvagerie, et l'intelligence, la puissance et l'honneur. Elle voulait être Myosotis, l'Alpha des Shadows.

« Mais sache que je ne suis pas «une» Shadow. Je ne suis pas n'importe laquelle. Réfléchis à ça, car si tu crois savoir et qu'en réalité, tu ne sais pas, tu ne pourra pas apprendre. Celui qui pense savoir ne sait pas qu'il ne sait pas, puisqu'il pense savoir. Et cela peut jouer bien des tours. »

« J'en ai rien à faire de savoir que tu es « la » Shadow ! Je ne te connais pas, c'est tout ! »

Sur ce, la louve descendit du rocher, et se mit à contempler les rapides. Myosotis ne s'énerva pas, pas plus qu'elle ne se mit hors d'elle à l'idée qu'on l'ignore. Elle avait appris que parfois, l'ignorance vaut mieux que le savoir. Et que les loups la sous-estiment était une bonne chose. Plus la proie est en confiance, plus sa viande est tendre. S'asseyant, elle ne dit mot pendant un temps, observant la louve grise qui lui tournait le dos. Après de longues minutes, elle ajouta :

« J'espère qu'un jour tu te rendra compte de la bêtise que tu commet. Tu ne te souviendra peut-être pas de Moi, mais le jour où tu me verra de nouveau, alors ce jour pourrait bien être ton dernier. »