"And I'll hide from the world,
Behind a broken frame,
And I'll run forever,
I can't face the shame..."
♫

Tout comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l’autre que nous gardons cachée... Une dualité gouvernée par l’équilibre de la lumière et de l’obscurité. Chacun de nous a la capacité d’accomplir le bien et le mal. Certains savent brouiller la ligne de division morale, et détiennent alors le vrai pouvoir. Celui de faire ce qui l'importe sans se soucier des autres et même de soi. Mais Sharka, même si elle aimait le faire croire, ne disposait pas de cette capacité. Sa morale la poursuivait sans cesse, brûlant ses entrailles et torturant son âme.

C'est pour ça qu'elle courait sans pouvoir s'arrêter. Sa culpabilité la rongeait de l'intérieur et le seul moyen de ne pas y penser était alors de courir. Le vent dans le pelage, les yeux fermés et tout les sens en éveil. Elle avait toujours adoré courir. Ça lui vidait la tête. Les idées, les réflexions, la culpabilité, tout ça la fatiguait énormément. Elle n'était pas encore rentrée au camp depuis son affrontement avec Alaska. Elle ne voulait pas affronter les autres loups. Ils ne savaient rien mais Sharka avait l'étrange impression qu'ils allaient tout de suite deviner d'où venait sa blessure. Elle devait d'abord la désinfecter pour qu'elle cicatrise plus vite. La blessure n'était pas profonde, mais la peau était extrêmement fine aux abords des yeux. La louve grise porterai à jamais la marque de son combat.

Elle ralentit le pas, essoufflée. Juste devant elle se trouvait un grand cerisier. Il lui semblait si majestueux, si magnifique qu'elle s'arrêta, émerveillée. Elle avait soudain oublié la raison de ses tourments, omnibulée par ce cerisier qui semblait briller. Une étrange aura en émanait, une sorte de surbrillance bleutée. Sharka sentait son sang bouillir dans ses veines. Elle était presque persuadée que cette sensation avait quelque chose à voir avec cet étrange arbre.

Un bruit sortit la louve de sa béatitude. L'Alpha de tourna vivement, s'attendant à voir Alaska surgir des fourrés. Elle aurait survécu, joué la comédie et était vivante. Mais une odeur que Sharka reconnaîtrait entre toutes parvint au museau de la louve grise. Une odeur douce et chaude, qui sentait à la fois la fleur et la terre, le jour et la nuit, le passé et le futur. Cet odeur éveillait tellement de chose en Sharka qu'elle ne pourrait les énumérer. C'était l'odeur d'un loup. Un Wind.

Kinhàn.

Il dansait.

Dansait pour oublier, dansait pour évacuer ce trop plein de vide. Kinhàn, en équilibre sur ses deux pattes arrière, s’amusait à danser. Il sautillait, essayant d’attraper les fruits d’un cerisier coloré par ses baies, juste en face du cerisier éternel.

Il sautait pour oublier.
Une chanson lui vint en tête, mais il la chassa. Il ne voulait pas chanter. Juste s’épuiser. Et passer le temps. Il était sorti de l’étape passive de son désespoir, et avait décidé de reprendre les choses en pattes. S’il n’était désormais qu’une coquille vide, le loup blond devra sauver la face. En apparence, il redeviendra normal. Il est redevenu normal. Il s’est remusclé, et ses yeux semblent pétiller. Mais c’est l’adrénaline, et l’émerveillement éternel qu’il a en la nature qui allument ses prunelles violettes.

Il veut être fort. Plus fort que jamais. Pour retourner, la tête haute, chez les Winds qu’il a officieusement quittés. Pour ne plus avoir honte. Sharka, restera dans son cœur. Mais Kinhàn demandera à Morrigan, sa chère amie et alpha, s’il ne peut pas devenir protecteur du clan, pour ne plus avoir à chasser, ou à risquer de croiser la belle louve argentée.

Il ne veut pas de rechute.
Il n’en a pas besoin, il est fort maintenant. Voilà presque un mois qui est passé, et il n’est plus l’épave qu’il était. C’est redevenu un fier guerrier, et les amourettes ne le toucheront plus. L’amour, Kinhàn le fuira, désormais. Qu’est-ce donc que ce sentiment, si ce n’est qu’un fardeau supplémentaire à porter ?
Non merci, Kinhàn a eut sa dose.

Il saute pour se muscler les pattes. Et pour attraper cette foutue branche, aussi. Il y a plein de cerises bien mûres dessus. Et Kinhàn aime les cerises. C’est une passion toute récente, mais bougrement géniale.

Hop, encore un saut. La langue sur le côté, le loup blond faisait comme il pouvait pour atteindre sa cible. Un bond plus grand que les autres et… Il l’attrapa enfin. La phase descendante de son saut se solda par un petit amorti. La branche dans la gueule, il la cala entre ses pattes de devant, et saisit quelques fruits, les savourant. Oh, que les choses difficiles à avoir étaient délicieuses et appréciables, une fois atteintes !

Il ne remarqua la présence de la louve grise que lorsque son attention se détacha de son butin. Ses yeux bleus vrillés dans les siens, elle le regardait. Depuis combien de temps l’avait-elle observé ? Elle, la dernière louve du Kô que Kinhàn souhait revoir. Son cœur fit un bond, et battait au bout de ses babines si fort qu’il faillit en lâcher sa précieuse branche.

- Sharkwa ?

Spoiler:

Une danse envoûtante. Chaque geste, chaque saut du loup blond paraissait calculé, minuté, le tout donnant lieu à une chorégraphie étrange et hypnotisante. Cela a faisait longtemps qu'elle ne l'avait plus vu.
Leur dernière conversation devait remonter à la guerre.
Non, ils ne s'étaient même pas adressés la parole.
Encore avant, quand il était venu chez les Fires. Oui c'était leur dernière conversation. Mais Sharka n'avait pas arrêté de penser à lui.

Kinhàn ne sembla pas la remarquer. Elle ne s'approcha pas. Elle était immobile. En fait elle était en plein combat intérieur. D'une part, sa conscience lui conseillait de partir. Simplement. De se retourner, de rentrer au camp et continuer à faire semblant de ne rien ressentir. Après tout, elle était douée pour ça. D'autre part, son cœur lui susurrait de rejoindre ce loup qu'il se plaisait tant à aimer. Mesquin et cruel, il s'alliait même avec son cerveau pour faire remonter tout les souvenirs de leurs précédentes rencontres. Au moins son esprit était occupé par autre chose que le combat avec Alaska. Tiens, un point positif.

Avant qu'elle n'ait pu prendre la moindre décision, le loup la remarqua. Elle le fixait toujours, incapable de détacher les yeux de l'objet de son dilemme intérieur. Il l'observa un instant, l'air étonné. Elle devait avoir l'air d'une tarée, avec son pelage sale et emmêlé.

Ces yeux violets. Maintenant qu'elle les voyait clairement, la louve argentée comprenait à quel point ils lui avaient manqués. A quel point il lui avait manqué. Elle avait toujours convoité des choses qu'elle ne pouvait obtenir. Il paraît que c'est universel. N'empêche que c'est bien paradoxal.

" Sharkwa ?"

Sa voix lui semblait lointaine. Sharka était physiquement présente au pied de ce cerisier étrange, en compagnie du Wind, oui. Mais son esprit voguait sur d'autres contrées. Les souvenirs ne sont qu'une source de mélancolie et de désarroi. Parfois, on se remémore de bon moment, se félicitant d'avoir vécu des instants formidables. Mais souvent, on se demande ce qu'il a pu de passer depuis. On comprends ce que l'on aurait pu, aurait du faire. Pourquoi tout à changé. Et là, ça fait mal. Presque autant qu'une griffe sur l'œil. C'est une autre douleur en fait. Plus sournoise, parce qu'aucun remède ne peux l'apaiser.

Une fois ce choc passé, la louve comprit ce qu'il se passait réellement. Elle avait devant elle celui à qui elle pensait depuis des lunes. Depuis leur nuit à l'étang. Elle avait l'occasion de lui parler. Ils pouvaient tout arranger. Sharka avait ne voulait plus se battre contre ses sentiments. Elle était plutôt déterminée. Elle avait toujours été égoïste, alors pourquoi arrêter maintenant ? Si le seul moyen d'apaiser cette souffrance était de parler à Kinhàn, elle allait le faire.
Peut importe ce que peuvent penser les autres.
Elle répondit d'une voix tremblante.

"Ki...Kinhàn."

Ses yeux bleu océan n'avaient pas quitté les prunelles violettes de l'intéressé une seule seconde. Elle le dévorait des yeux, ne pouvant croire à une telle rencontre hasardeuse. Sharka était bien placée pour savoir que chaque chose arrivait pour une raison. Après, ce que tu fais de la chance que le Kô t'offre, c'est à toi d'en décider. Et Sharka était maintenant décidée. Déterminée même.

"Ça fait si longtemps..."

Sa voix… Comme elle lui avait manqué.
"Ki...Kinhàn."

Et ce fut comme si toutes se résolutions flanchèrent, comme balayées par le vent brûlant de l’été. Le loup doré se ressaisit néanmoins. Incapable de bouger, il demeurait béat, le regard aussi surprit et pétillant qu’un enfant le jour de noël.
Sharka était là.

En face de lui, tout près. Il avait peut-être une chance de réparer ce qu’il avait brisé en lui. Son cœur, qui battait à tout rompre, rata un battement en repensant à cette soirée passée avec la belle louve grise au clair de lune. Là où tout a basculé chez lui. Sharka sait-elle au moins quelle tempête se déchaine dans l’esprit du jeune loup ? Comme si un torrent de lave le consumait en entier, son cœur et son cerveau brûlant de la passion qui le hantait.

C’était à la fois merveilleux et horrible. Et si puissant lorsque Sharka était près de lui. Ses yeux bleus cristallins étaient comme deux immenses lacs, apaisants, qui semblaient calmer les ardeurs de l’incendie interne de Kinhàn. Il avait tout simplement besoin d’elle.
"Ça fait si longtemps..."

Les paroles de la louve argentée le sortirent de sa torpeur. Même si le contact visuel n’avait pas été rompu durant tout ce temps, Kinhàn sembla plus présent à partir de ce moment là. Il réalisait ce qu’il se passait. Sharka était toute seule avec lui. Ils avaient une chance de tout mettre au clair une bonne fois pour toute. Enfin.

Ils n’avaient pas eut pareille occasion depuis la guerre. Kinhàn fronça un instant les sourcils. Avec la guerre, lui revirent en mémoire leurs devoirs. Il se rappela que Sharka était une Alpha. Celle des Fire. Il n’avait pas le droit.

Comment avait-il pu oublier, même l’espace de quelques minutes, le rang de celle qui se tenait devant lui ? C’était insensé. Le rétropédalage du loup blond fut difficile. Il se recomposa un visage neutre, avant de laisser apparaitre un petit sourire content. Il ne pouvait pas se permettre de se trahir, et devait filtrer ses émotions.

Lâchant finalement sa précieuse branche, qu’il retenait tout de même entre ses pattes, Kinhàn répondit d’un ton léger, quoiqu’un peu désinvolte, et presque distant :

- En effet… Quel bon vent d’amène donc ici ?


Ou, comment briller d’originalité en cinq secondes.

Spoiler:

Pourquoi se mentir ? Cette question taraudait la louve argentée depuis un long moment déjà. Cela n'apportait que de la peine et du désarroi. Cet amour serai peut-être trop beau pour durer ou pour être accepté, mais ils étaient trop vieux pour s'en soucier. Non pas qu'ils étaient des anciens croulants, hein. Mais ils sont adultes. Un adulte est par définition capable de prendre les décisions qu'il estime justes. Sans de mander l'avis des autres. On appelle ça l'égoïsme, aussi.

D'ailleurs, tant qu'on philosophe, autant ne pas penser au passé. Cela n'apporte que de la mélancolie. Ne pas grandir trop vite, non plus. La vie est trop belle pour durer éternellement. Mais Kinhàn et Sharka sont trop jeunes pour s'en soucier. Et oui, dans la maturité comme dans l'amour, tout est relatif. Après tout, cette vie pourrai être la dernière. Pas le temps de philosopher davantage.

Le loup blond la regardait toujours, et Sharka cru lire de la joie sur son visage, pendant un instant. Mais celle-ci se transforma bientôt en une sorte de masque mi-poli mi-ennuyé. Ce masque qu'on enfile quand on a totalement rien à faire de son interlocuteur. Ou quand on veut cacher ses émotions. Il lâcha la branche qu'il tenait dans sa gueule mais la serra dans ses pattes, l'air géné. Il lâcha, d'un ton léger qui sonnait étrangement contrôlé :

« En effet… Quel bon vent d’amène donc ici ? »

Sharka ne broncha pas. En fait elle allait finir par effrayer Kinhàn à force de le fixer sans arrêt. Elle aurait préféré une réponse un peu plus... significative ? Mais qu'à cela ne tienne. Elle devait lui dire. Peut importe sa réaction. On dit souvent qu'il vaut mieux affronter la vérité que de rester dans l'ignorance. Car l'ignorant vivra toujours dans la crainte. N'importe qui aurait pu lire la détermination dans les yeux de Sharka. Et puis tant pis si il n'était pas prêt. Elle lâcha, la voix étrangement assurée :

« Je t'aime Kinhàn. »

Et sans attendre de réponse, elle continua sur sa lancée. Elle savait que si il l'interrompait elle ne pourrait continuer. Hors, il fallait qu'elle le fasse.

«Depuis cette nuit près du lac, je n'ai cessé de penser à toi. Je revois tes yeux, j'entends ton hurlement et je sens ton odeur. Chaque chose que je vois le fait penser à toi. Les fleurs dans les champs. Les étoiles dans le ciel. Le chant des oiseaux au petit matin. Je rêve de toi, la nuit. Je me demande sans cesse ce que tu fais. Je crois bien que je ne peux plus me passer de toi. Et le fait que l'on ne se soie plus parlé a empiré les choses. Je n'arrive pas à me concentrer, Kinhàn. Je n'y parvient plus. Si ce n'est pas ça, l'amour, je ne sais pas ce que c'est.»

Sharka s'arrêta soudainement. Ses idées de mélangeaient dans sa tête. Elle avait dit l'essentiel, même si maintenant, Kinhàn allait certainement la prendre pour une psychopathe obsessionnelle. Non mais, elle lui avait dit qu'elle rêvait de lui quand même.

Spoiler:

Même si cet acte était irréfléchi, la louve avait déjà imaginé plusieurs scénarios. D'abord, l'indifférence. Du genre : "Oh, c'est gentil mais pas moi. Il fait beau aujourd'hui, tu ne trouve pas ?" D'un côté, heureusement qu'il n'avait pas réagit comme ça. Sharka de serait sentie tellement humiliée qu'elle aurai certainement sauté sur le loup blond dans un accès d'orgueil. Mal placé, certes. 


Elle avait aussi pensé au scénario romantique, qui donnait plutôt quelque chose comme :"Sharka, je partage les mêmes sentiments depuis si longtemps ! Vivons heureux, profitons de la vie et nous aurons plein de petits louveteaux gris au yeux violets !" Mais a cette pensée, elle n'avait pu s'empêcher un rictus écœuré. Trop d'amour tue l'amour. Et puis c'est franchement barbant ce genre de conversation.

Suivaient le scénario catastrophe qui consistait en une crise cardiaque de l'intéressé. Mais elle secoua légèrement la tête pour évacuer toutes ces pensées idiotes. Pourquoi réfléchissait elle toujours après avoir agi ? Ah, oui. Elle était pas Alpha des Fire pour rien.

" Sharka…"

La louve grise leva la tête. Il était surpris. Sharka l'avait senti. Et quelque chose dans la voix du loup lui disait qu'elle n'allait pas aimer la suite. Le raclement de gorge gêné confirma son impression.

"Tu… Tu ne peux pas…Tu n’as pas le droit… Non… Par pitié, dis-moi que tu ne penses pas un mot de ce que tu viens de dire…"

En fait, elle n'aimait pas du tout, mais alors pas du tout cette réponse. Il termina en gémissant :

"Je t’en prie…"

Sharka l'observa intensément. Elle était vexée de cette réponse. Très vexée. En fait, sur une échelle de 1 à 10, elle aurait répondu 11. Comment osait-il lui dire ça ? Elle avait avoué son amour, prenant son courage à deux pattes et il la suppliait de retirer ce qu'elle venait de dire ? Sympa.

Mais elle réfléchit une seconde. Évidemment, l'affaire était délicate. Elle était alpha, il était Wind. En plus c'était un bon ami de Morrigan. Il y avait de quoi douter, certes. Mais cette seconde de réflexion passée, elle répondit, d'un ton vexé :

"Je n'aurais pas imaginé que ça te déplairai tant."

Relevant le museau, elle tenta de paraître majestueuse, même si elle était simplement blessée. Elle pensait réellement que le loup blond l'appréciait. Ça fait mal de se tromper à ce point. Mais elle n'allait pas nier ses sentiments.

"Je ne retirerai pas ce que j'ai dit. Je t'aime vraiment. Et je pensais que toi aussi, tu l'appréciait... Enfin, j'imaginais... Je ne sais pas. Mais pas ça en tout cas."

Triste, la louve baissa la tête. A quoi bon essayer de sauver les apparences ? Elle était abattue par la réponse du loup. [/b]

Spoiler:

La tête toujours baissée, Sharka respirai à peine. La surprise passée, elle essayait maintenant de comprendre. Les paroles de Kinhàn n'étaient pas assez claires pour elle. Il la suppliait de démentir ce qu'elle venait juste de dire. C'était étrange tout de même. S'il ne l'aimait pas, pourquoi ne lui disait il pas simplement ? A moins que cela ne soit plus compliqué ? Sharka était un peu perdue à vrai dire. Et le beau loup blond ne lui facilitait pas la tâche. Il semblait tout aussi perdu qu'elle. Ça la rassurait en un sens. D'une voix brisée, il répondit :

" Sharka… Je… Je suis troublé…"

Il s'approcha ensuite, relevant délicatement la tête de la louve avec son museau. Elle se laissa faire sans pour autant le regarder dans les yeux. Il semblait profondément triste. Il continua ensuite, d'une ton beaucoup plus doux :

" Sharka… Si tu savais à quel point tu comptais à mes yeux…"

La louve tourna alors la tête vers le loup, plongeant à nouveau son regard dans le sien. Il l'aimait aussi. Elle l'avait senti dans sa voix. Elle le voyait dans ses yeux. Cela remonta un peu le moral de l'Alpha. Mais si il l'aimait aussi, pourquoi ? Pourquoi réagissait il de la sorte ? Évidemment, ils étaient chacun d'une meute différente. Mais Sharka n'avait que faire de ce détail. Rien n'interdisait à deux loups de meutes différentes de s'aimer. Qui peut prétendre interdire l'amour ? D'accord, ce n'étais pas bien vu et puis c'était délicat en cas de conflit. Mais tout de même. Sharka ne pouvait pas répondre à ces questions elle même. Elle demanda d'une petite voix presque timide :

"Mais alors... pourquoi ?"

Sharka était complètement perdue. Elle avait toujours eu du mal à comprendre ses sentiments, préfèrent l'action à la réflexion. Elle se contentait de tout enfuir au fond d'elle-même, attendant l'illumination qui lui permettrait d'éclairer son esprit. Mais elle n'était jamais arrivée. Et au fur et à mesure que les Lunes avançaient, les sentiments étaient plus durs à ignorer. Sharka devenait instable, cédant aux aléas de ses émotions sans pouvoir rien contrôler.

Et elle détestait ne rien contrôler.

Sharka n'obéissait qu'à son instinct, ses envie et son cœur. Seulement à elle même. Son statut d'Alpha lui permettait cet égoïsme. Même si, bien sur, elle pensait à sa Meute, elle faisait tout de même ses propres choix. Et personne ne pouvait la contredire. Dans les bons choix, comme dans les mauvais. Et c'était là le problème.

La louve grise reporta son attention vers Kinhàn. Il semblait pensif, comme toujours. Ses prunelles violettes reflétaient une sorte d'hésitation. Il releva la tête et planta son regard dans celui de Sharka. Il semblait déterminé. Il expliqua, d'une voix dure :

"Tu sais.... Tu es une Alpha des Fire... Moi, j'ai donné mon titre de Bêta peu après la guerre. J'ai même quitté les Wind. J'ai eu un accès de faiblesse, je te l'accorde. Mais toi, tu devrais trouver un mâle sans scandale, quelqu'un qui sera capable de te protéger, et de veiller sur toi.... Moi, je ne suis qu'une épave, une coquille vide tout juste bon à rependre du service dans ma meute en temps que combattant..."

Sharka écarquilla les yeux. Elle n'aurait jamais imaginé une pareille réaction de la part du beau loup blond. Dégoûtée par sa réaction, elle se redressa. Elle était si remontée qu'elle devait se retenir pour ne pas grogner.

Comment pouvait il, comment osait il lui dire cela ? Lui conseiller de se trouver "un bon Fire" et de vivre comme chacun le doit, sans faire de vagues ? Sharka était une sanguine. Elle ne suivait pas la norme. Et encore moins ce qu'un loup pseudo poète lui conseillait. Il continua :

" Nous ne somme pas du même monde, Sharka. Nous ne somme même pas de la même meute."

Et sur ces mots il tourna les talons et commença à s'en aller. Sharka bouillonnait. Sans réfléchir, elle se lança :

"Tu n'es qu'un idiot Kinhàn !"

Sa voix était moins maîtrisée qu'elle l'aurait voulu. Elle tremblait comme une feuille. Mais elle continua :

"Comment peux tu seulement penser ça ? Tu as peur de la réaction des autres, parce que nous ne faisons pas partie de la même meute ? Mais ce sont les autres Kinhan. On s'en fiche."

Sharka dit une pause, réfléchissant à ses paroles. Ce n'était pas interdit. C'était mal vu, d'accord. Mais pas interdit. Elle continua, avec une voix presque méprisante :

"Tu veux que je me coule dans le moule, que je ne sois qu'une Alpha politiquement correcte et sans histoire ? Mais moi je ne veux pas de ça. Et toi, qu'est ce que tu va faire ? Tu vas devenir solitaire ? Tu ne le supporterai pas."

Elle essaya de se calmer, respirant le plus lentement possible.

"Tu n'es qu'un idiot et tu n'a aucune idée de ce que je pense ou ressent, tout comme je n'ai aucune idée de ce que toi tu ressent. Alors maintenant tu vas me dire la vérité."

Elle avança pour se retrouver face à lui, planta des yeux dans ceux de Kinhàn et lâcha :

"Dis moi que tu ne m'aimes pas. Dis moi que tu ne veux pas de moi. Je te promets qu'alors je te laisserai partir."

Le loup blond s'arrêta, coupé dans son élan. Quelque chose dans les paroles de Sharka semblait l'avoir fait tiquer. Mais elle ne se souvenait déjà plus de ce qu'elle avait dit. Elle voyait à peu près l'idée mais elle ne pourrait se répéter. La louve attendait, plantée devant Kinhàn.  Sa réponse arriva, tranchante.

"Non. Cesse de te comporter comme une louvette, Sharka ! Oui, je ne suis qu’un imbécile, ce n’est pas nouveau. Oui, je suis un sombre crétin pour vouloir ton bonheur ! Un pauvre fou, bercé par la folie qu’il pourra lutter contre ce que le Kô le sert de plus puissant sur son chemin ! Alors Oui, Sharka, je suis fou ! Fou de toi, et complètement fou à lié !"

Interdite, Sharka ouvrit des yeux ronds. Elle n'avait jamais vu le Wind s'énerver - aucun Wind en fait - et si elle n'avait pas été liée à cette colère, elle aurait sans doute trouvé ça amusant.  Visiblement irrité contre lui-même, il foudroya l'Alpha du regard. Celle ci frissonna. Elle ne savait pas comment réagir. En fait elle était complètement hébétée par ces révélations involontaires. Le loup blond continua du même ton haineux :

"Alors, comment une louve aussi sainte d’esprit pourrait-elle le comprendre ? Je suis fou, et  je m’exile. Il est beaucoup de gens qui aiment la solitude, mais bien peu la supportent, n’est-ce pas ? Moi, je vis avec elle depuis des mois. Comment ne pourrais-je pas vivre ainsi quelques années de plus ? Arrête de perdre ton temps. "

Il la fixait de son regard violet si envoûtant. Sharka du fermer les yeux pour parvenir à rassembler ses idées. En voyant Kinhan il y a à peine quelques minutes, elle n'aurai jamais imaginé une telle discussion. Et quand elle lui avait dit qu'elle l'aimait, elle n'avait pas pensé à de telles réactions. En fait, elle n'avait pas pensé du tout. Et une fois encore, elle le regrettait amèrement.

Une chose lui revint alors tout à coup. Elle avait tué Alaska. Tout les Shadows allaient certainement lui en vouloir, la détester. Ils allaient vouloir la tuer. Elle ne devait mettre en danger personne. C'était certainement trop tard pour sa meute, mais pas pour Kinhàn. Elle rouvrit ses yeux océans.

"Je... Tu as raison."

Elle ne savait pas trop quoi lui dire. Elle venait seulement de réaliser que ces révélations arrivaient au pire moment. Devait elle lui dire pour Alaska ? Elle n'avait pas envie de lui avouer qu'elle avait assassiné sa sœur. Mais d'un autre côté, il allait l'apprendre d'une façon ou d'une autre. Elle devait lui dire, avant que quelqu'un d'autre ne le fasse.

"Alaska est morte."

Ce changement de conversation était brutal. Sharka regarda encore plus intensément le Wind, guettant la moindre réaction dans ses prunelles d'améthyste.

"Je l'ai tuée. Elle m'a défié en combat singulier."

Comme pour se justifier, elle rajouta :

"C'était elle où moi. Et j'ai gagné."

Prenant une grande inspiration, la louve grise tentait de contrôler les larmes qui n'allaient pas tarder à dégouliner le long de ses joues. Elle avait dit ce dernier mot avec une telle amertume que n'importe qui aurait compris qu'elle aurait préféré s'enfuir et encore fuir ce combat. Mais Alaska lui avait bien fait comprendre que ce combat était inévitable.

"Alors tu as raison Kinhàn. Je vais arrêter de perdre mon temps. Et nous ne nous verrons plus. Je ne te mettrai pas en danger."

Sa voix avait flanché sur cette dernière phrase. Ces seuls moments de bonheur, ceux où elle voyait le loup blond et ou elle pouvait lui parler durant des heures, ces seuls instant de répit, elle les sacrifiait. Elle les sacrifiait pour l'honneur de sa meute, pour la sécurité du loup blond et aussi parce qu'elle voyait bien que cela ne mènerait à rien. L'autre ne voulait même plus en parler.

"J'espère que tu sera heureux dans ta vie de solitaire, puisque c'est celle que tu choisis."

Elle ne prenait pas du tout un ton impératif, se contentant d'essayer de parler pour empêcher les larmes de couler. Repensant au meurtre d'Alaska, elle secoua la tête. Beaucoup de loups la considéraient comme une Alpha remarquable, et ils connaissaient tous le lien de parenté qui les unissait. Ne pouvant plus se retenir plus longtemps, Sharka explosa en sanglots :

"Ne me prends pas pour un monstre, s'il te plaît."

Spoiler:

Tout à coup, ce fut comme si Sharka avait eu une prise de conscience. Baissant la tête, elle semblait comme vaincue. Le soulagement que senti Kinhàn fut très bref, et disparu aussitôt lorsque la louve grise répondit d’un air éteint :
"Je... Tu as raison."

La peine qu’elle éprouvait secoua le loup blond. Il se rappela soudain que c’était une étape nécessaire, s’il voulait la protéger. L’Alpha des Fire releva la tête, et le scruta de ses yeux d’un bleu infini. Oh.
"Alaska est morte… Je l'ai tuée. Elle m'a défié en combat singulier. C'était elle où moi. Et j'ai gagné."

Abasourdi, Kinhàn regarda celle qu’il aimait avec un regard étrange, où se mêlait tristesse et incompréhension. Elle s’était battu seule à seule avait Alaska, qui voulait déjà lui faire la peau durant la Guerre que les Shadow avaient déclenchés il y a des lunes de cela. Et là, elle venait de la tuer ? Kinhàn éprouva une profonde tristesse. Alaska avait changé ces dernières semaines, la guerre l’avait fait murement réfléchir. Il avait parlé avec la louve blanche il y a si peu de temps… Comment un être peut-il être si pu gâté par la vie pour devenir ainsi, jusqu’à ce que sa conscience le rattrape ? Il était vraiment triste pour elle.

Puis, les conséquences que ce combat aurait pu engranger lui retombèrent dessus. Sharka aurait pu perdre. Elle aurait pu mourir. Elle s’était battue à mort avec un membre de sa famille.

Sharka reprit :
"Alors tu as raison Kinhàn. Je vais arrêter de perdre mon temps. Et nous ne nous verrons plus. Je ne te mettrai pas en danger. J'espère que tu sera heureux dans ta vie de solitaire, puisque c'est celle que tu choisis."

Kinhàn senti l’accusation percer dans sa phrase. Soulagé néanmoins de voir que Sharka avait capitulé, le loup blond senti également un profond vide se creuser en lui. Encore pire que celui qui s’était installé après la guerre. Parce que là, il n’y avait plus d’espoir, ni d’opportunité, de se revoir, et de tenter leur chance. Il fronça les sourcils. Cette situation, il l’avait voulu. Pour elle. Pour sa sécurité. Et là, maintenant, il était prêt à flancher pour combler ce vide en lui ? Mais pourquoi tant d’égoïsme ?
La fatalité de cette nouvelle situation le prenait à revers. Quel étrange sentiment que de ne plus rien contrôler de ce qu’on avait prévu… Kinhàn allait s’en retourner vers de nouvelles aventures, lorsque la louve grise, comme brisée, acheva :
"Ne me prends pas pour un monstre, s'il te plaît."

Il se retourna. Elle avait explosé en sanglot, ne pouvant plus contenir la pression de ces derniers jours. Il n’avait même pas demandé quand s’est passé le combat, ni où. Il n’avait pas demandé de détail, ni avait daigné s’intéresser à cette étape importante dans la vie de Sharka.

D’une voix étouffée par le chagrin, et imprimant ce souvenir, dernier qu’il aura d’elle, Kinhàn répondit d’une voix monocorde :
«Jamais je ne te considèrerai comme telle, Sharka. Jamais. Tu resteras toujours une grande Alpha à mes yeux… »

Il fit quelques pas sur le côté avant de continuer :
« Prends bien soin de toi, Sharka. »

Et il se retourna sans ajouter autre chose, tout aussi vide qu’il fut quelques lunes au paravent.

Sharka continuait à pleurer, comme si toute les larmes qu'elle avait retenu depuis bien longtemps trouvaient enfin le moyen de s'échapper. Kinhan s'était retourné. La louve grise redoutait sa réaction. Elle n'avait jamais appréhendé autant la réaction d'un loup. En fait, habituellement, elle n'accordait que peu d'importance à la façon dont on la voyait. On pouvait la traiter de lâche, d'idiote, de tête brûlée, cela ne l'avait jamais atteint. Elle savait ce qu'elle valait et c'était le plus important à ses yeux. Les Shadow allaient la détester, les Wind allaient la regarder avec reproche et même certains Fire feraient des remarques. Elle le savait et le seul moyen pour elle de supporter le regard des autres étaient d'être sûre d'elle. Et c'était précisément ce qui lui manquait à ce moment.

«Jamais je ne te considèrerai comme telle, Sharka. Jamais. Tu resteras toujours une grande Alpha à mes yeux… »

La louve grise releva les yeux. Kinhan était la personne la plus importante à ses yeux. Si lui ne la prenait pas pour un monstre, qu'importe ce que peuvent penser les autres.

« Prends bien soin de toi, Sharka. »

Il se tourna et commença a partir. Sharka savait que cette fois elle ne pouvait le retenir. Son cœur se serra dans sa poitrine. Elle avait envie de hurler. Pourquoi donc les choses étaient toujours aussi compliquées ? D'abord, elle avait retrouvé sa sœur, mais celle-ci avait perdu la mémoire. Sharka avait donc enfui la vérité, trop honteuse pour avouer la vérité à Morrigan. Et quand elle lui avait enfin avoué, bien des années après, une nouvelle d'une autre ampleur l'avait frappée. Son lien de parenté avec Alaska les avait toutes les deux poussées au plus profond, obligeant une issue fatale. Et maintenant, alors que Sharka pensait avoir touché le fond, voilà que Kinhan partait.

Mais Il était temps que Sharka prenne ses responsabilités. Comme Kinhan lui avait fait remarquer, elle se comportait comme une louvette capricieuse. Elle devait de prendre en main et faire son devoir d'Alpha, veiller sur sa meute.