J'attendais le bon moment. Cela faisait un certain temps déjà que je l'avais repéré et je n'allais pas le laisser m'échapper à cause de mon impatience. Je n'ai jamais été très bonne dans la chasse de gros gibier. En revanche, j'ai toujours excellé dans celle du petit, et la traque m’apparaît plus comme un jeu qu'une difficulté, même si la faim commençait sérieusement à me tordre le ventre. Mais j'étais patiente, et, petit à petit, je m'étais rapprochée du lièvre que je visais. Il grignotait quelques brins d'herbe innocemment, ignorant que ces mêmes végétaux allaient causer sa perte. La neige était ma meilleure alliée, j'étais très visible dans un autre environnement, mais heureusement cette prairie était tellement touffue que son herbe haute parvenait à bien me dissimuler.

J'attendis encore un peu, me campant solidement sur mes pattes. Ma proie releva la tête, humant l'air par sécurité, mais j'étais sous le vent. Elle rebaissa le nez, magnifique signal pour passer à l'action. Je détendis d'un coup tous mes muscles et bondis vers l'animal. Rapide, il partit aussitôt pour tenter de sauver sa vie, mais j'étais trop proche et tout aussi agile. Il ne me fallut que quelques secondes pour le rattraper et refermer mes crocs sur sa gorge palpitante. J'avais faim et n'avais jamais été très joueuse avec mes proies, d'autant que j'avais déjà vu des chasseurs rater leur gibier en voulant s'amuser avec. Je brisai donc d'un coup net la nuque du lièvre, lui ôtant la vie d'un bref mouvement de mâchoires, puis le posai à terre entre mes pattes avant.

J'avoue que les lapins et autres lièvres commençaient à me lasser. La chair de caribou et d'élan me manquait. Mais j'avais besoin de force, alors je n'allais pas non plus faire ma difficile. J'observai un instant les alentours avant de me coucher pour attraper ma proie entre mes pattes et commençai à la déchiqueter avec entrain. Je n'avais pas senti de présence particulière dans les environs, et j'avais trop faim pour emporter mon repas et le manger plus à l'abri. Tant pis. De toute façon, si quelqu'un me tombait dessus maintenant alors que j'avais le ventre creux et la fatigue de mon voyage dans les pattes, je ne pourrais pas faire grand chose. Mieux valait que je mange rapidement pour retrouver un minimum de forces et pouvoir ainsi me défendre un peu plus efficacement.

Je terminai de faire disparaître toute trace du lièvre. Même les os y passèrent, après tout c'est excellent pour les miens, et il ne faut rien gâcher. Puis j'entamai une vague toilette, me léchant les babines encore un peu ensanglantées et les pattes avant qui avaient retenu mon déjeuner. Ca faisait du bien de se remplir l'estomac, je me sentais en meilleure forme. Maintenant... il ne me manquait qu'une sieste digestive avant de repartir. Mais je ne voulais pas la faire ici. L'herbe avait beau me camoufler plus ou moins bien, je restais visible et en terrain découvert. Ca ne me plaisait pas.

Une voix soudaine me fit bondir sur place et me camper aussitôt sur mes pattes en relevant les babines. Je n'avais pas entendu de ton agressif, mais le fait de me faire surprendre ne me plaisait absolument pas et ça ne voulait rien dire. Les beaux parleurs, ça existait, oh oui. Mes oreilles m'indiquèrent l'origine des sons et mes yeux dorés repérèrent un loup clairement âgé, au pelage blanchâtre qui avait dû être gris, voire noir, dans sa prime jeunesse. Un animal d'expérience qui pouvait se révéler bien plus redoutable qu'il n'en avait l'air. Méfiance, donc.

Ses paroles sonnaient étrangement dans mes oreilles dressées. On aurait dit qu'il savait de quoi il parlait, comme s'il me connaissait. Mais je savais bien que c'était faux. Tout comme je savais très bien que mon voyage n'était pas terminé, il ne le serait qu'une fois mon frère retrouvé. Qui était cet aîné sorti de nulle part ? J'abaissai les babines, c'était ridicule de montrer les crocs pour rien, mais je n'en gardai pas moins mes distances et ma prudence.

- Je croyais que les anciens étaient plus respectueux des règles de politesse. Qui êtes-vous ?

La moindre des choses était de se présenter avant de sortir de grandes phrases comme ça. Je ne l'étais pas vraiment plus pour le coup, mais il m'avait trop surprise pour que j'y fasse attention. Je n'aimais pas l'idée qu'un loup puisse m'approcher autant sans que je le remarque, c'était trop dangereux. Tant pis si je risquais de froisser la sensibilité d'un vieillard.